Angoumois, émois et moi et moi

© FIBD-9ème Art

Entre le festival d’Angoulême et la polémique, c’est une vieille histoire. C’est aussi presque une fatalité : celle des manifestations publiques qui ne parviendront jamais à satisfaire tout le monde. Y a-t-il eu un festival de Cannes sans grincements de dents ? Une cérémonie des Oscars sans agacement ? Un Prix Goncourt sans remous chichiteux ? Et c’est heureux. Sans désaccord, pas de diversité. Alors, certes, l’édition 2016 du célèbre festival de la bande dessinée a cumulé les casseroles, mais est-ce une raison pour les lui faire traîner encore en 2017 ?

Alors que la dernière manifestation s’est déroulée de manière exemplaire, tant par la qualité des expositions présentées que par la pertinence des prix décernés, la menace d’une restructuration remettant en question les fondements et les valeurs du festival se fait de plus en plus pressante. Le 27 février, Libération titrait : « Le festival déchiré ». Et pour cause : « Après la création d’une nouvelle association, chargée par la ministre de la Culture de réfléchir à l’avenir de la manifestation, les acteurs historiques craignent de perdre la main au profit des gros éditeurs ». Ce qui serait effectivement une catastrophe. Quid de la diversité ? Quid de l’artistique ? Quid du plaisir de faire des découvertes et des rencontres étonnantes ? Si le festival d’Angoulême ne devenait plus que la vitrine des grosses maisons (qui y ont également leur place, mais pas qu’à elles seules), il y perdrait bien plus que sa variété – il y perdrait son âme. Le problème ne doit pas concerner que le monde de la bande dessinée, puisqu’il est révélateur d’une situation globale dans l’univers de l’édition et de la culture : le danger d’un monopole guidé par la logique du profit au détriment de sa fonction pionnière.

Le 1er mars, Jean-Christophe Menu, membre fondateur de la maison d’édition indépendante L’Association, auteur aussi intransigeant que génial et aujourd’hui « Swellmap » à L’Apocalypse, tire à son tour la sonnette d’alarme sur son compte Facebook.

Le texte est court et percutant, il n’y a rien à y rajouter. Nous allons le reproduire ici, pour que chacun prenne conscience de la gravité des enjeux liés à cette décision. Mais auparavant, on dira encore quelques mots. Quelques mots rapides et maladroits comme ceux qu’on trouve sur des lettres d’amours adolescentes – mais des mots sincères.

J’ai grandi dans le Nord de la France pendant les années 1980 et 1990. La bande dessinée a toujours été une passion, et j’ai su très tôt qu’existait un festival, très loin, dans une région reculée à l’autre bout du pays, entièrement consacré aux livres que j’aimais tant. Son nom était chargé de fantasmes et d’aspirations pareils à ceux que d’autres enfants pouvaient attacher à des destinations plus lointaines et exotiques. Angoulême. C’était un sésame. Chaque année, à l’époque où avait lieu la manifestation, je regardais les journaux télévisés afin d’avoir la chance d’en apercevoir une ou deux images, peut-être un auteur interviewé ou même – le rêve – en train faire un crayonné. Au lycée, j’en discutais avec des amis et on se promettait d’y aller un jour tous ensemble, la grande virée héroïque, la conquête d’un monde, le nôtre. Mais ça a toujours un peu trop loin, un peu trop cher de s’y rendre, un peu compliqué à cause des partiels à la fac, carrément incompatible avec le boulot. Et puis, il y a six ans, j’ai eu la chance d’y passer deux journées. J’ai erré là-dedans comme Alice au Pays des Merveilles – et encore, je pense que c’était mieux. Visiteur lambda, j’ai acheté des livres, une figurine du Fauve de Trondheim pour mon neveu, une autre pour moi, j’ai assisté à des concerts dessinés, j’ai croisé deux trois auteurs en rougissant, et j’ai même osé faire la queue pour demander une dédicace à Brecht Evens – qui m’a demandé quelle était ma phobie, afin de pouvoir personnaliser le plus intimement possible mon dessin. L’année suivante, je me remettais à écrire sur la bande dessinée, après des années d’interruption. Ma visite à Angoulême n’y est pas étrangère.

Si le festival change de visage pour devenir une grosse machine à fric, pourrai-je encore y trouver Brecht Evens pour qu’il représente ma hantise des lieux confinés ?

Est-ce que je m’y retrouverai ?

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