Retour sur un dîner chilien, un tableau dérobé… et une alliance impossible

Benoît Hamon, vendredi 24 février 2017, au Moai Bleu, à l’issue de son dîner avec Jean-Luc Mélenchon © DIACRITIK

Mais quelle mouche a donc piqué Diacritik de publier dans la nuit de samedi à dimanche (à minuit trente, pour être précis), un article signé Johan Faerber, révélant que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon s’étaient longuement vus, la veille, au Moai Bleu, restaurant chilien en plein Paris ? Retour sur le premier scoop d’un jeune journal culturel, fondé en septembre 2015, et explications sous forme de notes à la volée, pour répondre à quelques commentaires.

Samedi, Johan Faerber apprend, de source sûre, que deux leaders politiques, dont l’alliance entravée est devenue l’un des feuilletons à multiples rebondissements et cliffhangers d’une campagne politique aux allures de saga, ont dîné longuement au Moai. L’info est recoupée, des photographies attestent des faits, décision est prise, par la rédaction diacritique, de la publier.

Johan rédige un article allègre, exposant les faits tout en s’interrogeant malicieusement sur la disparition d’un portrait d’Allende, au premier étage, lieu de la rencontre de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Il souligne le comportement très dissemblable des deux hommes, l’un posant avec quelques convives, l’autre s’éclipsant discrètement.

Publication donc, dès le texte prêt et la photo floutée (sur l’image, des anonymes : le droit français est très strict sur ces questions). Toujours en pleine nuit, les confrères sont alertés, sur twitter et via quelques messages aux principales rédactions et à l’AFP. Tout de suite des réactions interloquées, des doutes, des demandes pressantes sur la réalité, voire la vraisemblance, des faits. Nous répondons, protégeons nos sources, mais répondons.

Et non, première réponse à ce qui sera une accusation récurrente sur les réseaux sociaux de la part de quelques-uns — auxquels on voudrait au passage rappeler qu’insoumission a beau avoir le même préfixe qu’injure, la violence qui a été déployée ne dessert qu’une cause, la leur — non donc, notre source n’est pas quelqu’un de l’entourage-de-Benoît-Hamon-qui-aurait-eu-un-quelconque-intérêt-à voir-l’information-divulguée. Le journalisme n’a que peu à faire de La Voix de son maître ou à voir avec la publication de communiqués de presse, ce que certains ont, depuis quelques semaines, tendance à oublier.

Édit du 28 février : Et il ne s’agit pas non plus d’une information liée à la présence « par hasard » de Johan Faerber dans le restaurant chilien, comme l’affirment avec morgue et faussement Mediapart, Libération et Regards dans leur appel commun à une alliance Hamon/Mélenchon.

LCI Diacritik

Une chaîne d’info continue s’empare assez vite des faits, au point de s’attribuer le scoop, l’erreur sera réparée quelques heures plus tard, la déontologie est malmenée et finalement sauve. Et, comme toute information qui va à l’encontre du storytelling ambiant pour rétablir la vérité des choses, elle fait très rapidement boule de neige (Le Parisien, BFMTV, Europe 1, Mediapart (avec Reuters), 20 minutes, Le Huffington Post, etc.). Tout le monde en parle, comme dirait l’autre, les articles sortent, la majorité citant Diacritik comme source.

Et c’est, en parallèle, sur les réseaux sociaux et en particulier Twitter, un déchaînement de violence telle, d’accusations  — de fake, de détournement des faits, de volonté de faire capoter une alliance (mort née et définitivement enterrée vendredi, Benoît Hamon l’a rappelé dimanche soir au journal de 20 h de TF1, Jean-Luc Mélenchon n’a pas dit autre chose)… — que pour la première fois de sa jeune histoire, Diacritik doit fermer les commentaires sur son site : il nous est impossible, un dimanche, de répondre aux questions de confrères, de vérifier que le site supporte les milliers de connexions à l’heure, et de gérer les réseaux sociaux, tout en modérant le flux de commentaires que le papier suscite.

Alors, en quelques points rapides :

— Pourquoi un journal culturel a-t-il décidé de publier une telle information ?
La culture n’est pas un supplément pour nous, elle est au centre de la vie de la cité, ce par quoi les discours sont commentés et interrogés. A partir du moment où des faits venaient contredire le discours officiel des candidats (annonce d’une rencontre potentielle le lundi suivant, alors que celle-ci avait déjà eu lieu), en quoi cette information ne nous regardait-elle pas, n’était-elle pas un sujet ?
Les tribunes que nous publions régulièrement depuis quelques semaines, en lien avec la vie politique et la campagne présidentielle, interrogent toutes la question de l’image, du discours, des alternative facts et de cette ère de post-truth dans laquelle certains voudraient nous faire entrer de force.
La culture est résistance, elle est politique. Tous nos articles comme les textes d’écrivains et artistes ou les entretiens que nous publions le disent, hautement.

— Pourquoi avoir publié cette photographie en illustration de l’article ? Prise depuis le téléphone portable d’un témoin, elle atteste de la date et du lieu, ainsi que de la présence de l’un des protagonistes de cette affaire. Nous en avions d’autres, en avons choisi une, avons flouté les anonymes par respect du droit à l’image.

— Pourquoi Jean-Luc Mélenchon n’apparaît-il pas à l’image ?
Parce qu’il s’est faufilé discrètement, n’a pas souhaité être photographié et que Diacritik n’emploie pas de paparazzi (autre insulte du week-end, presse de caniveau, gossips). Donc, non, aucun choix partisan de notre part dans le fait de publier une photographie de Benoît Hamon plutôt que de Jean-Luc Mélenchon (qui n’est pas l’une des personnes floutées, comme l’ont supposé certains !).

— Pourquoi un jeune journal comme Diacritik peut-il damner le pion à de grosses rédactions installées ?
Nous n’avons pas la réponse, nous faisons notre travail de journalistes.

— Pourquoi nous battre pour faire reconnaître par certains confrères peu scrupuleux que nous étions à l’origine de l’information ? Pourquoi avoir largement fait l’écho de ce papier sur notre compte twitter, avoir partagé les papiers de nos confrères ?
D’abord parce que nous revendiquons d’avoir publié ce papier (et débusqué l’info), ensuite parce que le fait même que l’information ait été reprise par nos confrères, et confirmée par deux QG de campagne, était une réponse, en soi, aux accusations de « mensonge ». Nous n’avons rien inventé, nous sommes certes amusés de la disparition saugrenue (voire hautement symbolique) d’un portrait d’Allende, tout était factuel. Pourquoi être un journal culturel supposerait-il, aux yeux de certains, de devoir demeurer invisibles ?

La scène racontée par Johan est une forme de mythologie, au sens de Barthes : elle dit une époque, dans l’article publié, comme dans les réactions face à ce récit. C’était, en ce sens, un événement. La rencontre a été confirmée dans la journée, la réponse à une interrogation sur une alliance politique hypothétique donnée. Nous aurions fait avorter cette alliance par la révélation du dîner de vendredi ? C’est nous donner beaucoup d’importance, nier le fait que les deux candidats se sont rencontrés dans un lieu public, que l’un d’entre eux a posé pour des photographies, nier le fait que cette alliance était impossible dès vendredi soir. Et non, nous ne sommes pas partisans, la rédaction n’est engagée aux côtés d’aucun candidat, nous décryptons les discours de chacun, nous interrogeons sur des gestes et des paroles (souvent obliques).

Alors, oui, Diacritik s’intéressera toujours à la politique à l’avenir. Plus que jamais. Comme le disait ironiquement l’un des rédacteurs en chef du journal hier, notre nouveau slogan pourrait être : « Diacritik, venez pour le scoop, restez pour la culture »

Hamon Mélenchon Diacritik
© DIACRITIK