La victoire de Benoît Hamon ou Malaise dans la télévision

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Malgré lui, hier soir, dans l’euphorie nue de sa victoire, Benoît Hamon a été le candidat de la coupure – l’homme politique inattendu, celui, décidément sans image, qui ne doit pas parvenir à l’image elle-même, qui doit se voir coupé de la télévision.
De fait, alors que, vers 21h, un triomphe sans appel le portait, de juste raison, à être enfin le candidat inespéré d’un PS moribond et à refonder, l’homme qui entamait son discours sous les micros et les caméras éberlués des télévisions qui, en dépit de toutes leurs caméras de surveillance, ne l’avaient pas vu venir et ne l’avaient pas regardé, Benoît Hamon donc a été coupé.

Il parlait, était le candidat légitimé par le vote, commençait à dérouler son discours de rénovation, avait soulevé l’intérêt, était porté d’enthousiasme quand tout à coup, sur France 2, de manière inouïe, l’image revient sur Laurent Delahousse et Laurence Parisot qui allaient reprendre leurs spéculations après cet intermède comme si Hamon n’était pas gardé au montage – n’était pas dans le film.

C’est qu’Hamon révèle, par la surprise médiatique de sa présence, combien devant la politique s’écrit actuellement un malaise dans la télévision, combien Hamon doit être tenu comme un hors champ qui ne doit pas accéder à l’image même que les médias sauraient lui offrir et lui donner – combien il n’est pas encore légitime à leurs yeux. Imprévu, déjouant tous les sondages, il ne peut apparaître dans les discours et encore moins à l’image. Il est le sans-image comme d’autres sont sans sans-papiers dans la même violence journalistique délégitimante. Il n’est qu’à se saisir de l’hystérie spéculative qui entoure son élection, les commentaires comme pour venir recouvrir les faits, le fait même, toujours inouï de son triomphe : Benoît Hamon ne serait pas là pour gagner. Il n’aurait pas été élu pour être élu à la présidence. La gouvernance ne serait pas son objectif. Il ne doit être là que pour refonder le PS. Il ne pense pas à la présidentielle. L’homme coupé dans son discours n’est finalement qu’un élément décoratif du champ politique et non le coup de tonnerre et la charge insurrectionnelle que nous avons tous entendu depuis la disparition anticipée des Sarkozy, Juppé, Hollande et maintenant heureusement Valls. À ce refus véhément des électeurs qui renouvelle ou tente avec ceux qu’il y a de renouveler le personnel politique ne répond à la télévision que la persistance rétinienne de figures de commentateurs qui ne prennent pas la mesure d’un changement qui, pourtant, par l’époque plus que jamais inquiète, traverse tout. Comme si la vraie coupure était à l’écran – comme si ce journalisme médiatique était le seul à être coupé, à être dans le hors champ d’une société qu’il ne voit pas.

Coupé ainsi à l’antenne sans aucun ménagement, dans une fluidité jamais interrogée par un service public toujours plus inquiétant, Hamon devient alors, malgré lui, l’homme de la coupure pour toute la soirée hier : à cette coupure qui veut toujours laisser le post-socialisme d’Hamon dans le silence, est vite née une polémique selon laquelle, crime des crimes, Hamon aurait coupé la parole à Valls, aurait débuté son discours alors que Valls, coïtus interruptus nerveux et furibond, n’aurait pas été en mesure de finir son affaire – devant une salle, par ailleurs, toujours aussi néo-libérale et néo-raciste (même si le racisme est toujours une antiquité, ce que démontre actuellement avec un fascisme rutilant Donald Trump qui ouvre à une Amérique d’avant 1492 – une pré-Amérique). L’homme qui sera coupé sur le service public aurait d’abord coupé feu le premier ministre : on mesure, dans le vide reconduit à chaque instant des chaines d’information continue, la portée d’un tel crime car quand le journalisme n’est pas d’enquête, il redevient sa Némésis même, à savoir une bourgeoisie qui peine à s’émanciper de l’amour du patron et du patriarche et qui, comme à un repas de famille en province, sombre dans la dramatisation des codes de politesse dont le non-respect ouvre à la pire tragédie qui soit dans l’histoire de l’humanité : savoir garder sa place à table. BFM TV, c’est un peu l’enfant illégitime de Nadine de Rothschild et d’Albert Londres en coma dépassé – on coupera donc le coupeur. Plus encore qu’ailleurs, l’image à la télévision procèderait ainsi sans répit d’une toute grande violence : elle est violence faite au réel.

Car la télévision n’aimerait ici que ses images. Elle produit des images et elle n’aime que des candidats de l’inceste de l’image comme Macron, lui candidat sans coupure, dans la continuité qui seule prévaut : le flux d’images. Sans programme pourtant à la différence d’Hamon, Macron incarne, comme un triomphe, le champion de l’image pour elle-même tant il a compris que les médias n’étaient actuellement fascinés que par ce qui renvoie à leur savoir-faire : l’hypnose. À l’enseigne de cette émission inouïe de TF1 qui entendait samedi soir placer des stars sous hypnose comme si la télévision atteignait son point aveugle en mettant en scène et en abyme son outil même qu’est devenu l’hypnose, Macron représente ce que Jean-Luc Nancy dans Être singulier pluriel nommait à juste titre « le vertige auto-communicationnel » des médias qui se médiatisent eux-mêmes dans une boucle auto-référentielle dont Macron est le chainon le plus lumineux et rutilant, des dents jusqu’aux boutons de manchette. Macron a réussi le coup médiatique d’apparaître comme une start-up en soi, comme si « En Marche », à entendre littéralement comme un bouton « ON » sur une chaîne hi-fi, était entouré de ce même enthousiasme béat qui entoure la moderne héroïsation de l’entrepreneur, l’homme des 12 travaux d’Hercule devant le fisc et les taxes : Macron n’est pas une coupure dans le champ politique. Il n’incarne aucune aposiopèse. Aucune époké. Macron est un candidat Apple, le Steve Jobs d’Amiens. Là où Hamon n’incarne pas, Macron surincarne comme si hyperbole et hystérie se recouvrait dans le vide d’une image qui flotte au vent des médias.

Coupure, coupé : Hamon, quoique l’on pense de lui – même si et surtout si l’on en pense du bien – doit ainsi s’aborder pour triompher comme l’homme qui a coupé le PS en deux, l’homme qui a compris que la bêtise sociale-démocrate (la bourgeoisie manque singulièrement de courage depuis la Révolution française, ne peut-on que déplorer) doit être coupée du PS (parviendra-t-il à cette transformation ?), loin d’autres candidats tous de la mauvaise coupure comme Sarkozy se disait candidat de la rupture – puisque Fillon est désormais le candidat de la petite coupure notamment. Candidat Hamon de la coupure précisément dans cette non-image médiatique qu’il ne s’agit pas de déplorer mais dont il doit faire sa force : le manque de charisme souligné par beaucoup d’Hamon ne doit pas être sa faiblesse mais sa force, la chance de couper avec le mythe de l’homme providentiel.

Hamon n’est pas un homme providentiel. Il peut être la chance, bien au contraire, d’avoir enfin un candidat de gauche qui s’efface devant les idées, devant une Idée, qui peut enfin ne pas céder à l’ego et devenir le candidat comme le dit Nancy du « nous », du « nous » contre tous les « moi président », ce « nous » de Nancy qui ne cesse d’attendre ce « nous réticulé, étendu, avec son extension pour essence et son espacement pour structure ». Un nous qui réponde d’une absence de chef et non de l’hystérie autour du patronat que les médias ne cessent de reconduire car la télévision est devenu le miroir projectif de la vie d’entreprise, le drame des cadres mis en scène à la télé – on rentre le soir, on est dominé par son chef et on jouit de regarder la tyrannie managériale d’un Cyril Hanouna qui ne fait que mettre en scène l’obscénité continue de la vie en entreprise, la loi El Komhri en acte tous les soirs, chez soi. Mais Hamon en serait le double inversé – la grande non-image qui viendrait.

Car, sans doute, mais est-ce le plus difficile sinon neuf à accomplir, la victoire d’Hamon doit faire comprendre que le malaise dans la télévision révèle une coupure qui va au-delà des discours coupés et suspendus de parole : c’est le peuple qui est redevenu le média sinon le médium – il voit les images avant la télévision. Le peuple le sait déjà mais l’image remontera-t-elle jusqu’aux prompteurs ? La question demeure plus que jamais ouverte.