Bâtonnage de Sylvain Bourmeau

Sylvain Bourmeau © Julien Falsimagne / éditions Stock

Ce n’est pas tous les jours qu’apparaît un nouveau genre ou une nouvelle forme littéraire. Or, voici que l’événement se produit avec le Bâtonnage que propose Sylvain Bourmeau (il fut directeur adjoint de Libé). Mais littéraire vraiment ? En fait, Bourmeau s’inspire d’une technique propre à son métier de journaliste et qui consiste à biffer dans une dépêche d’agence et à l’aide d’un feutre noir tout le superflu, tout ce qui fait redondance, avant d’introduire l’article dans la page.

Dans le volume qu’il publie, Bourmeau a choisi d’appliquer son bâtonnage à des articles déjà édités, à même le quotidien tel qu’il est sorti de presse. Dans le cas présent, il s’agit d’un numéro de Libé mais qu’importe. L’intention est, dans un mouvement de refus rageur, de briser avec ce que l’auteur-saccageur nomme l’horizontalité fastidieuse du discours informationnel, productive d’un aplatissement de tout sens et de tout mot au sein de la chaîne. « J’étais, écrit Bourmeau, devant le journal comme devant un paysage dévasté. Seuls quelques articles se dressaient au milieu d’un champ de ruines. […] Ce fut comme un réflexe, un geste non calculé ; j’ai commencé à rayer. » (p. 133)

Va en résulter, en déni de syntaxe, une dissémination de termes qui, une fois placés en colonne comme ils le sont dans le présent volume, propose à la lecture quelque chose qui tient du poème, avec titre ajouté. Ainsi une verticalité se réintroduit dans le discours et elle n’est pas qu’aléatoire puisqu’elle prélève des mots sur une actualité qui fait nécessairement écho dans notre perception et notre mémoire. Par ailleurs, il ne s’agit pas non plus d’un collage puisque tous les termes proviennent du même article.

Aussi pourra-t-on lire ce qui suit sous « MACRON ILS L’AIMENT/EUX NON PLUS » :

« il a fallu
le plateau
du gouvernement volé
éreinté
par une lasse
économie
derrière lui
avant d’ajouter
une forte personnalité/
Emmanuel
double le
statut plus
protégé
de l’Élysée 
» (p. 17).

Pour Bourmeau, ce bâtonnage détourné tient encore de l’expérience journalistique. C’est que, dans le métier, on apprend à lire non pas de façon linéaire, mais en procédant par blocs ou en y allant « à la lampe torche » selon sa formule, ce qui suppose une constante anticipation du sens en formation. Et, bien évidemment, quelque chose de cela se retrouve dans les présents textes : quelques termes, et le lecteur retrouve tant bien que mal le message d’origine.

Mais l’expérience va bien au-delà de cette possible reconstitution. Et Bourmeau de parler à ce propos de « non narrative non fiction ». Mais surtout, dans un envoi final, d’afficher son ambition d’élargir le champ du littéraire. Et d’écrire : « l’œuvre littéraire ne peut plus à mes yeux se réduire au seul texte — l’attitude, le geste, la posture, les concepts, la performance, le monde de l’art sont toujours déjà de la littérature. » Avec cette restriction toutefois : « Depuis longtemps des écrivains l’affirment en actes, ils demeurent peu audibles. » (p. 135)

Dès lors, quelle lecture faire du texte bâtonné ? Plutôt que d’un auteur, il est l’œuvre d’un « nauteur », dit encore Bourmeau. Mais en vue de quelle lecture ? Deux pistes s’offrent. La piste « art contemporain » que l’on vient d’évoquer, d’une part, où le texte en colonne s’y fait proche de ce que l’on appelle désormais « installation » et qui invite le lecteur à construire un sens en exploitant le matériau qu’on lui donne. La piste critique, de l’autre, où des pics émergent du « champ de ruines » pour se transformer en vision dramatique, voire tragique, de l’état du monde. Ainsi Bâtonnage ouvre à des possibles dont il reste à explorer les ressources. En vue d’une riche aventure ?

Sylvain Bourmeau, Bâtonnage, Stock, 2017, 140 p., 16 € 50 — Lire un extrait

Lire ici l’article de Johan Faerber
Et ici l’entretien de Sylvain Bourmeau avec Christine Marcandier