Laurent de Sutter : « Le kamikaze est comme nous, un être médiatique » (Le grand entretien)

© Laurent de Sutter

Plus d’un an bientôt après les attentats en chaine du 13 novembre 2015 et plus de deux ans après l’attaque de Charlie Hebdo et de l’Hyper-casher, dans une succession presque ininterrompue de crimes, le terrorisme n’a cessé de faire question, d’ouvrir des débats sans jamais véritablement parvenir, des questions religieuses aux explications psychologisantes, à convaincre. Sans doute faut-il lire sans attendre le remarquable et puissant essai de Laurent de Sutter Théorie du kamikaze pour avoir enfin autant de clefs neuves, fécondes et énergiques sur la figure prégnante de ces attentats, à savoir le kamikaze.
Diacritik a rencontré le temps d’un grand entretien sur ces questions celui qui s’impose, essai après essai, comme l’une des figures de proue du renouveau de la scène intellectuelle contemporaine.

La puissante réflexion que vous mettez en œuvre dans Théorie du kamikaze trouve son origine et s’ouvre sur ces heures de sidération que constituent les attentats en chaîne et les massacres du 13 novembre 2015 à Paris. D’emblée, vous affirmez avec force l’idée d’un terrorisme entièrement déterminé par la figure du kamikaze que vous définissez sans attendre non pas tant comme un homme que comme un dispositif médiatique.
En quoi peut-on selon vous affirmer que le kamikaze et son acte terroriste constituent un media en soi ? Les médias, notamment les chaines d’information continue, ne sont-ils pas inéluctablement appelés à n’être en comparaison que des sous-médias, condamnés incidemment à s’enfoncer dans des commentaires infinis qui ne sauront jamais rattraper l’image première des attentats ? Est-ce que parce que ces images terroristes font écrans qu’elles confisquent sciemment tout recul critique ?

C’est une excellente manière de présenter les choses. Je crois en effet qu’il existe, chez les intellectuels qui se sont intéressés au phénomène du terrorisme autodestructeur contemporain, une tentation irrésistible : celle du déchiffrage psychologique. Pour la plupart d’entre eux, un kamikaze est avant tout un être humain qui aurait été amené à passer à l’acte fatal (et même, fatalissime) sous la pression d’un ensemble de déterminations de type sociologique, économique, religieux ou géopolitique. Que l’individu en question soit plus ou moins conscient, plus ou moins libre, de ses choix ou pas importe peu : l’essentiel est qu’il y ait intention, et que cette intention soit explicable par un dehors qui viendrait en saturer le fonctionnement.

Théorie du kamikazeJe pense que la tentation intentionnelle, dans le cas du terrorisme kamikaze, manque à la fois la spécificité des actes qui en portent le nom et la nature de celui qui les accomplit – de même qu’elle passe tout à fait à côté du rôle que jouent les mass-médias dans leur diffusion. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle repose sur une anthropologie d’une autre époque. Cette anthropologie est celle du sujet intentionnel, baigné dans un univers social dont il serait un acteur distinct – un univers dont les images ne constitueraient qu’un reflet parmi d’autres, et les médias qu’un accessoire de plus, relevant du domaine passif, quoique duplice, des objets. Une telle division entre monde des objets et monde des humains d’une part, et entre monde individuel et monde social de l’autre, produit une stratification du possible en matière d’explication ayant pour effet avantageux de toujours permettre que l’on retombe sur ses pattes. Le problème, c’est qu’en retombant sur ses pattes, on retombe aussi toujours sur les mêmes explications, lesquelles préexistent de toute éternité les événements qu’elles prétendent expliquer par le confinement de chaque chose à sa place, et l’assignation de chaque place à sa chose.

Or, s’il est une vérité du terrorisme kamikaze, elle ne peut que consister en le fait que celui-ci trouble les places, qu’il rend insoutenable le partage du monde auquel le régime d’explications que j’ai mentionné participe – ce régime d’explication qui est lui-même un régime de perception. Il y a une continuité absolue entre monde, objets et sujets, produisant des hybrides indistincts, parmi lesquels le kamikaze, en tant qu’être d’image (il n’existe que par l’image de l’explosion qui atteste de son passage à l’acte) et de technique (il n’existe que par le dispositif explosif qui rend possible son passage à l’acte). C’est en ce sens que, comme vous le dites, on peut soutenir que les kamikazes constituent des « médias en soi » : le média, chez eux, est littéralement embarqué dans leur être – ils sont ontologiquement média, si vous préférez. Mais ils ne sont pas les seuls : nous le sommes tous. Voilà pourquoi, me semble-t-il, les esprits forts qui blâment les « médias » de la manière dont ceux-ci se sont fait l’écho des actions de terroristes kamikazes récents se trompent du tout au tout : en réalité, c’est à cet endroit là que tout se joue, dès lors que nous sommes nous-mêmes devenus des êtres intégralement médiatiques.

À ce titre, en quoi vous paraissait-il important de sortir du flux continu de l’actualité pour venir réinscrire le terrorisme actuel dans une lecture diachronique et partant philosophique ? Peut-on considérer que la philologie et le déploiement historique que vous pratiquez de la figure du kamikaze s’affirme comme un geste politique et éthique contre une forme d’emballement forcené de l’actualité ? En quoi votre essai entend-t-il ainsi être une forme de déprise du commentaire immédiat toujours incessant et comme vidé d’idées ?

Il y a là une sorte de caprice nécessaire, qui embrasse plusieurs préoccupations différentes, appartenant à des niveaux d’importance qu’on pourra à bon droit juger variables, mais qui, pour moi, se distribuent de manière égale : un hommage aux maîtres ; une conception particulière de ce qu’est un essai ; une façon de répondre aux événements. Le recours à l’histoire et à la philologie, comme ressources premières de la pensée, est un choix stratégique qui vise à tenter de nous détourner de ce que je considère comme le poison du concept, à savoir l’argumentation – le fait qu’il y ait des arguments, et qu’on puisse les peser, voire les réfuter. Je ne crois pas aux arguments, de la même manière que je ne crois pas au régime d’agora qui est supposé les entourer, et qu’on a baptisé du nom un peu vide de « débat » ; à l’instar de Gilles Deleuze, je fuis les débats comme la peste, et je refuse d’entrer dans toute discussion se voulant « argumentée ».

Je préfère de loin les délires théoriques, les exagérations conceptuelles, les interprétations un peu dingues – tout ce qui relève de l’affolement du monde, dont je crois qu’il est davantage porteur d’effet de réel que toute explication dite « sérieuse ». C’est Jean Baudrillard qui disait que la théorie n’est pas là pour expliquer le monde, mais pour l’empirer ; je crois qu’on n’a jamais rien écrit de plus profond du point de vue de la méthode, ou de ce qui en tient lieu : atteindre un point de réel dans la théorie passe par une mise à l’écart de ce qui est dit faire « réalité ». Si la « réalité » du terrorisme kamikaze contemporain est celui de la religion musulmane, ou de l’histoire coloniale, ou de l’oppression capitaliste, c’est sans doute que le réel, lui, est tout autre – et c’est ce tout autre qui m’intéresse, ce point où, comme je l’ai dit tout à l’heure, les explications ordinaires craquent.

Faire craquer pourrait, me semble-t-il, constituer un bon programme pour un développement futur de l’art de l’essai, art désormais relégué aux bavardages narcissiques d’auteurs aimant à raconter leurs réflexions à la terrasse des cafés, ou bien aux universitaires soucieux de satisfaire aux exigences de l’institution. « Essai », après tout, implique tout le contraire de l’achèvement ; cela implique saut en avant, prise de risque, virage trop serré et emprunté trop vite d’après la signalisation routière ; bref, cela implique excès de la proposition par rapport à la réalité, mais excès qui constitue comme l’appel d’air nécessaire afin qu’elle se dissipe enfin. Pour le dire autrement, je considère l’essai comme constituant la forme par laquelle la réalité peut être décoïncidée d’elle-même, c’est-à-dire de la fiction d’identité par laquelle, une fois de plus, chaque chose, y compris cette réalité, est assignée à une place. Mais si une telle conception de ce que peut être un essai implique une forme de violence par rapport à ce qui constitue la réalité, je tiens qu’elle implique aussi une forme de faiblesse par rapport à ce qui fournit l’occasion de cette violence, qu’il s’agisse d’un fait, d’un événement, d’un acte, d’une œuvre, etc. Là où les arguments sérieux et les explications réalistes prétendent répondre de la réalité a lieu une sorte d’écrasement de ce qui doit être expliqué par les explications en question ; à l’inverse, refuser cet écrasement, et se placer de manière délibérée sous la gouverne de l’objet, quel qu’il soit, est la seule manière d’atteindre son réel.

11 septembre 2001 (Wikipedia Commons)

Votre Théorie du kamikaze propose également une définition neuve du kamikaze et du terrorisme comme l’être du flash photographique, qui impressionne la rétine par sa luminosité éteignant tout le monde autour de lui.
Cette esthétique du flash constitue-t-elle la fin de la reproductibilité des images défendue par Walter Benjamin ? Le terrorisme et le kamikaze sont-ils ainsi devenus, sans le savoir ou le sachant, le point aveugle de notre modernité fondée, pour une large part, sur cette reproductibilité des images tant leur image s’offre comme la plus intense de toutes les images produites et irreproductibles dans cette intensité même ?
Cela voue-t-il tout cinéma qui voudrait revenir sur ces événements à échouer, à savoir à n’être forcément que des images déceptives car reproduites ?

Je crois que ce serait plutôt l’inverse : il n’y a d’image fidèle que reproduite, c’est-à-dire manufacturée, construite, manipulée, truquée, tout ce qu’on voudra. Dans le cas du terrorisme kamikaze, la chose est devenue d’autant plus évidente qu’il est désormais à peu près impossible de différencier ce qui relève de l’image « authentique » de ce qui relève d’une mise en scène de cinéma – mise en scène, du reste, souvent utilisée par les terroristes eux-mêmes.

A certains égards, je crois même que ce sont les images de cinéma qui nous disent la vérité de ce dont les images d’actualité ne forment que le double faible : ce sont elles qui donnent le sens de ce qui, sinon, n’aurait que celle d’un pur hapax, d’un événement visuel sans antécédent ni héritier. Or, l’histoire de la modernité cinématographique, comme histoire de la sidération face aux pouvoirs esthétiques de la destruction, des trucages de Méliès aux CGI du destruction porn contemporain, constitue la continuation d’une tradition plus vaste, remontant au moins à la fascination romantique pour les ruines. Sa simple existence rend donc possible l’inscription des images du terrorisme, en tant que copiées du répertoire cinématographique, dans un mouvement historique et esthétique de grande ampleur, lequel permet de les comprendre d’une manière bien plus efficace qu’en les réduisant à leur simple expression « médiatique ».

Je crois en effet que les images du terrorisme kamikaze, depuis la photographie de la destruction du St. Lo en mer du Japon par la première brigade d’intervention spéciale « Kamikaze » en 1945 jusqu’aux avions se fracassant dans les deux tours du World Trade Center à New York en 2001, poussent à bout la logique du cinéma. Elles constituent l’incarnation princeps de ce que l’histoire du cinéma a retenu sous le nom de « blockbuster », de « destructeur de bloc », compris à la fois comme ce qui fait sauter le box-office du quartier (« block »), et ce qui a besoin de faire sauter des immeubles dans le film pour y aboutir. Sans blockbuster (et toute l’histoire du cinéma peut être relue sous l’angle du blockbuster – pensons à Buster (sic) Keaton et aux destructions de Steamboat Bill Jr.), il n’y a tout simplement pas d’image possible du terrorisme – ou plutôt, ce serait des images sans pouvoir, de pures images documentaires.

Par conséquent, peut-être serait-ce ça, la définition de la modernité : l’âge de l’esthétique des ruines, et des affects qui l’accompagnent – un âge qui ne cesserait de considérer la ruine comme le lieu du réel de ce dont la monumentalité officielle ne serait que la réalité, pour reprendre une fois de plus la célèbre distinction de Jacques Lacan. L’érection, sur le lieu même de la destruction des deux tours du World Trader Center, d’une Freedom Tower encore plus haute que les bâtiments détruits pourrait en fournir un bon exemple : face au réel du terrorisme, le monument sert d’instrument de forclusion, de reconstitution, à partir des ses propres débris, d’une réalité ébranlée.

Une des propositions critiques les plus puissantes et neuves de votre essai consiste à considérer que, dans l’acte terroriste perpétré, au moment de sa mort et des morts qu’il provoque, « le kamikaze est un être esthétique », à savoir un être qui appartient au règne sans trêve des apparences dont se trame notre temps.
Selon vous, quelle est la puissance iconique du kamikaze ? En quoi cherche-t-il à faire image ? Sa visée première ne consiste-t-elle pas précisément à devenir l’image ultime de tout événement sinon de notre temps ?
Peut-on à ce titre le considérer comme un hyper-esthète, à savoir le dernier être esthétique, celui qui a compris, mieux que quiconque, le devenir esthétique de tout, le devenir image du monde ?

Lorsque Jacques Rancière a inventé le concept de « partage du sensible », je crois qu’il a donné corps, pour longtemps, à la forme que peut prendre le surgissement d’une image dans un monde d’images, et à la tentative de faire triompher l’image en question de sorte qu’elle vienne à en incarner un moment. Le « partage du sensible », c’est en effet la règle de répartition des parts dans un monde où les parts ne sont pas réputées illimitées ; un autre manière, si vous voulez, de dire que chaque chose doit être à sa place, et chaque place avoir sa chose.

Ce qui m’intéresse, dans ce concept, ce n’est pas tant le fait qu’il y ait partage, mais le fait que celui-ci prenne la forme d’une règle basée sur l’exclusion : pour qu’il y ait définition du partage, il faut que celui-ci s’opère par l’exclusion de ce qui n’a pas droit au partage, de ce qui doit en demeurer invisible. Pour Rancière, l’affaire était politique au sens fort : ce qui est exclu du partage, ce sont avant tout des corps ; cependant, cette politique, dès lors qu’elle prétend saisir le sensible, est aussi, et de manière intégralement homogène, une esthétique, puisqu’elle repose sur la visibilité ou l’invisibilité des corps. Contre ce que pouvait prétendre Walter Benjamin, au nom d’une interprétation très restreinte de ce que signifie le mot « esthétique », Rancière nous a ouvert la voie à une compréhension de la politique comme esthétique (et de l’esthétique comme politique) qui soit générale – comme on parle de « linguistique générale ».

Le terroriste kamikaze, en tant qu’être esthétique, est donc aussi bien un être politique, au double sens où toute son action tend à une intervention dans le règne du sensible, et où celle-ci se traduit par une saturation du domaine du visible au moyen des images qui en sont produites. De ce point de vue, je crois que le terroriste kamikaze possède un pouvoir considérable, similaire, si vous voulez, à celui que George Bernard Shaw, à la fin du 19e siècle, avait attribué aux meurtres crapuleux signés par « Jack l’éventreur » : il rend visible la structuration du visible. C’est-à-dire qu’il rend visible, par une intervention que la règle du visible impose de reléguer dans le domaine de l’invisible, qu’il existe une règle poursuivant ce but, et que cette règle est ce qui gouverne la totalité de nos existences, sans même que nous nous en rendions compte – puisque nous sommes part au partage des parts. Pour moi, qu’il y ait des êtres dont l’action force les murailles de l’ordre du visible pour en exposer l’existence et la constitution est quelque chose qui me fascine de plus en plus ; dans Métaphysique de la putain, déjà, j’avais défendu l’idée que c’était ce que les prostituées faisaient par rapport au discours de la vérité. De la même manière que les prostituées rendent visible le fait qu’il n’y a pas de vérité qui ne se paie, les terroristes kamikazes rendent visible le fait qu’il n’y a pas de visibilité qui ne soit le résultat d’un équipement normatif de l’œil – de sorte qu’il n’y a pas de visible pur ou naturel.

Le visible (le « sensible » de Rancière) est tout entier construit, de sorte que seule l’observation des modalités et des techniques de cette construction peut y donner accès, au contraire, par exemple, de ce que continue à défendre la phénoménologie, cette mystique de l’apparaître pur. En faisant des terroristes kamikazes des être « hyper-esthétiques », comme vous le dites si bien, c’est donc à la fois à la structuration normative du visible que je me suis attaqué, et aux différentes tentatives d’en forclore l’existence qui continuent à circuler dans les milieux autorisés de l’esthétique.

À envisager le kamikaze comme un plein être esthétique, ne peut-on pas incidemment considérer qu’il existe, comme vous le suggérez, une beauté intrinsèque des images produites par l’attentat terroriste et, si oui, de quelle nature est cette incidente beauté ? Se donne-t-elle comme amorale et, partant, la question de la morale entre-t-elle même en compte ?
En quoi de telles images jouent-elles délibérément d’une double violence et ajoutent de la violence à la violence et du tragique au tragique en offrant la destruction comme objet d’infinie contemplation ? Pourrait-on, à ce titre et comme une provocation inattendue des kamikazes, ajouter leur geste au souci du dispositif de l’art contemporain, comme son négatif effondré et noir, qui offre une manière de désinstallation cynique et destructrice au lieu de toute installation ?

Vous vous rappelez sans doute la thèse formulée par Karlheinz Stockhausen à l’époque des attentats du 11 septembre 2001 : la destruction des deux tours du World Trade Center pourrait bien être la plus grande œuvre d’art de l’histoire de l’Occident – thèse qui a aussitôt suscité les pire insultes, y compris de la part de la propre fille de Stockhausen. A y regarder de plus près, toutefois, cette thèse n’était pas idiote : l’histoire de l’art occidental a toujours été l’histoire de la tentative de faire apparaître, dans le domaine du visible, le principe normatif en réglant le fonctionnement – l’histoire de l’art est l’histoire du forçage toujours plus important du visible. Ce forçage a longtemps été appelé « réalisme », pour des raisons qu’il faudrait un jour investiguer (il n’existe pas de mouvement artistique qui ne se soit dit « réaliste », et même plus « réaliste » que les autres), étant entendu que « réalisme » devait être considéré comme un autre nom de la beauté.

Pour le dire autrement, l’histoire de l’art occidental est l’histoire de la représentation d’un dissensus à propos de l’esthétique normative de la réalité, basé sur la surenchère dans l’intégration de la règle du visible dans le visible lui-même, jusqu’à ce que ce soit l’art en tant que tel qui ait fini par être dénoncé comme incarnant cette règle. Les innombrables tentatives auxquelles se sont livrés les artistes du modernisme tardif relativement à la possibilité d’enfin faire fusionner l’art et la vie n’en sont que l’ultime avatar, dont, de fait, il faut considérer les happenings kamikazes comme autant de réplique ou de réponses. Ce dont on se rend compte, toutefois, comme vous le soulignez, c’est que la fusion de l’art et de la vie ne pouvait pas se réaliser depuis le point de vue de l’art lui-même, mais depuis le point de vue de ce qui a longtemps été considéré comme son antagoniste absolu : la pop culture. Là où l’art a été impuissant à réaliser une fusion qui, telle qu’il la concevait, était absolument illusoire, la pop culture, elle, a compris que la rencontre entre l’art et la vie devait passer par autre chose que l’expulsion de la règle du visible, ou sa transgression radicale, mais par l’assomption de son principe de construction.

C’est quelque chose que l’on observe tous les jours, en se promenant dans les galeries d’art : l’art contemporain est bête, au sens où il n’est désormais plus capable d’autre chose que d’ânonner les découvertes réalisées en-dehors de lui, qu’elles soient scientifiques, intellectuelles, politiques, etc. Une fois l’art auto-anéanti, ne reste que la vie – et donc, pour l’art, que la possibilité d’une poursuite permanente de sa contradiction avec soi-même, dans une spirale toujours plus triste, toujours plus agressive, et, paradoxalement (ou pas), toujours plus déconnectée avec la vie en tant que telle. La pop culture, en revanche, a bénéficié de l’intelligence de tous ceux qui ont compris que la vie n’est pas donnée – c’est-à-dire que ce qu’on appelle « vie » est le résultat d’un ensemble considérable de processus nous branchant sur un ensemble de dispositifs sans lesquels elle n’existe pas. Autrement dit, il n’y a de vie qu’en tant qu’art. Or, cela aussi, la tradition esthétique occidentale l’avait plus ou moins pensé, par l’intermédiaire d’une catégorie qui marquait le point de butée de l’esthétique de la beauté (et donc de l’esthétique du réalisme), en tant qu’esthétique aspirant à la vie : la catégorie de sublime.

Le sublime, non seulement chez Emmanuel Kant, mais chez tous ceux qui l’ont précédé ou suivi, désigne le moment où l’esthétique devient esthétique de sa fin – devient perception sensible d’un excès radical du sensible par rapport à toute beauté, et donc à toute réalité, et donc à toute vie. Cet excès, Kant le voyait incarné non seulement dans les phénomènes naturels violents, mais aussi dans un ensemble de phénomènes humains rappelant qu’il n’y a pas de grandeur esthétique véritable sans irruption d’une horreur disproportionnée à toute normation intellectuelle du sensible. Pour lui, la Terreur constituait une de ces irruptions ; Edmund Burke, pour sa part, voyait le sublime à l’œuvre de façon paradigmatique dans l’exécution abominable de Robert-François Damiens, l’homme qui avait essayé d’assassiner Louis XV. La déduction suit sans peine : l’horreur hors-norme est bien entendu celle de la mort, devant être comprise comme ce dont la possibilité définit le réel que tente de forclore tout réalisme. Peut-être alors est-ce ça l’hyper-esthétique que vous mentionniez tout à l’heure : celle de la série horreur, réel, mort – là où l’esthétique ordinaire serait celle de la série beauté, réalité, vie.

Et les images du terrorisme kamikaze, de ce point de vue, peuvent être dites, ainsi que le soulignait Stockhausen, les plus grandes œuvres d’art de l’histoire occidentale, parce qu’en tant qu’images de mort rendant visible le réel de la norme policière de ce qui définit la réalité comme partage du sensible, elles sont nos images du sublime.

Devant ce caractère esthète et cette science du faire image à tout prix, l’image même du kamikaze et partant la figure du terrorisme s’en voient indubitablement affectées : en ce sens, le kamikaze est-il seulement un barbare parmi d’autres ou sa barbarie doit-elle paradoxalement s’appréhender comme instruite et d’autant plus terrible qu’elle est construite ? À ce titre, doit-on considérer le terrorisme comme un geste culturel ou bien plutôt comme une acculturation totale et sans retour ? De la même manière, en tant que l’un des plus ardents défenseur de la Pop Philosophie, vous semble-t-il que cette culture, si elle en porte le nom, vous paraît-elle justiciable d’une analyse pop ? Pour aller plus loin enfin, le danger de Daesh, expliquant en partie son tragique succès, ne provient-il pas de ce qu’il a su, par l’image, se constituer en culture à part entière ?

Je pense qu’il faut être prudent quant à l’emploi du mot « barbare », mot qui, et ce n’est sans doute pas un hasard, constitue le tout de la politique phénoménologique ; après tout, n’est-ce pas le titre du livre le plus connu de Michel Henry, livre, qui plus est, édité par Bernard-Henri Lévy chez Grasset ?

La dénonciation du « barbare », le plus souvent, n’est que le masque dont les belles âmes s’affublent pour donner du poids à leur mépris – un mépris d’autant plus aisé qu’on ne sait pas très bien ce dont on parle, lorsqu’on parle de « barbare », si ce n’est que c’est un mot très Grec, donc très chic. Mais s’il est devenu un pont-aux-ânes de dissertation de souligner le fait que « barbare », pour les Athéniens, était avant tout une onomatopée utilisée pour désigner le langage de ceux qui ne parlent pas l’attique, et donc n’ont pas accès à la civilisation (et donc à la politique) grecque, c’est pour mieux en oublier le corollaire. A savoir : est barbare ce dont on ne comprend pas la langue – c’est-à-dire ce dont on considère qu’il ne mérite même pas que l’on fasse l’effort de l’apprendre, tant il est attendu que la seule chose que l’on pourrait en attendre est une sorte de déclassement, d’abaissement de soi par contamination linguistique.

Je dirais donc que l’accusation de « barbarie » appartient en plein aux registres des déterminations dont je parlais tout à l’heure, et que Deleuze aurait qualifiées de « molaires », signifiant par là, comme Bruno Latour l’a précisé un jour, qu’elles n’expliquent rien, mais feraient bien d’être elles-mêmes expliquées. En revanche, je crois bien davantage en l’efficace d’un concept comme celui de « désir déçu d’Occident » tel que l’a formulé Alain Badiou dans une conférence récente sur le terrorisme kamikaze, justement, au sens où il dit assez l’écologie à l’intérieur de laquelle celui-ci se trouve intégré, et dont il inutile de le séparer. En tant qu’être esthétique, donc être du dispositif, le terroriste relève de ce que Deleuze, encore, appelait « entre-capture », à savoir le fait que, à l’instar de la guêpe et de l’orchidée qui en imite le dessin abdominal pour l’attirer afin qu’elle en emporte le pollen, le terrorisme kamikaze n’existe qu’autant qu’existe ce qui le constitue comme tel. Je veux dire par là que sans le régime d’image, le régime esthétique, propre à l’Occident, l’action du terroriste kamikaze demeurerait aveugle, et devrait emprunter d’autres formes à même d’entraîner des conséquences analogues dans un autre régime de perception.

Le désir déçu d’Occident, davantage que l’envie d’intégrer un mode de vie qui vous repousse (dans tous les sens du terme), est désir du régime esthétique qui donne sens à l’action de celui qui se fait sauter ; le désir d’Occident est désir de blockbuster – si tant est qu’on puisse le qualifier sans à nouveau reverser dans l’intentionnalité. De ce point de vue-là, il n’existe en effet rien de plus « pop », au sens du surgissement, de l’événement, impliqué dans ce que beaucoup continuent à considérer comme une autre onomatopée barbare, voire même comme la forme contemporaine de la barbarie, « pop » ayant, à leur oreille, remplacé le « bar bar » des Grecs.

À rebours des analyses de Jean-Louis Comolli dans Daech, le cinéma et la mort qui fait de Daech l’acmé d’un anti-cinéma qui occupe aussi bien ce « Califat » qu’Hollywood même, vous semblez au contraire installer Daech et ses kamikazes loin de toute nullité cinématographique : pour prendre la mesure de leur pouvoir de destruction, ne doit-on pas les considérer comme des hyper-cinéastes, c’est-à-dire usant du cinéma comme pour en donner la mort, des hommes toujours hors de tout cadre ?
De quelle nature est leur cinéphilie et peut-on d’ailleurs qualifier leur rapport de connaissance au cinéma de cinéphilie ? Ne peut-on pas avancer que les kamikazes deviennent les continuateurs du Snuff Movie ?

Jean-Louis Comolli n’est pas le seul à s’être intéressé aux images de Daesh : Juan Branco, dans un petit livre qui vient de paraître, propose une interprétation puissante de certaines vidéos tournées par des séides du mouvement – interprétation qui a le mérite de prendre les images de ces vidéos au sérieux. Ce n’est pas le cas de celle de Comolli, que l’on pourrait résumer en une formule : « Daesh c’est Hollywood, et Hollywood c’est le Mal », formule qui pourrait faire passer les fameuses thèses de Theodor Adorno sur le jazz pour des merveilles de clairvoyance et de générosité.

À nouveau, l’argument de la barbarie, en somme. Outre qu’elle témoigne d’un mépris profond pour une certaine industrie, ainsi que pour ceux qui la consomment tous les jours, cette interprétation passe bien entendu tout à fait à côté de la spécificité des images du terrorisme kamikaze, en tant qu’images questionnant la constitution de tout régime d’image. Pour Comolli, la lutte contre Daesh devrait passer par la lutte contre le mauvais cinéma incarné par Hollywood, ce cinéma décérébré qui maintiendrait les spectateurs dans une situation d’hébétude et de bêtise telle qu’un passage à l’acte violent ne leur paraîtrait plus inhumain. On croit rêver. A l’entendre, il suffirait de biberonner les spectateurs aux films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet pour que tout aille mieux dans le meilleur des mondes – alors qu’on ne remplacerait qu’un bourrage de crânes par un autre, ce qui ne semble pas le gêner une seule seconde. Pour ma part, le fait que regarder des films de Straub et Huillet conduise à proférer des telles imbécillités me paraîtrait plutôt constituer une excellente raison d’arrêter d’en voir, si, heureusement, il ne s’agissait pas de films infiniment plus puissants que ce qu’en font les nostalgiques de l’Art.

On notera toutefois qu’il y a là un signe d’époque, comme si les figures les plus nobles de la modernité tardives ne provoquaient, chez ceux qui s’y intéressent, qu’un vague spasme esthétique les rendant incapables d’en faire quoi que ce soit d’autre qu’en chanter l’ineffable grandeur. Rancière lui-même n’a pas été épargné par cette paralysie : son livre sur les films de Bela Tarr, constitué d’une très élégante marqueterie de descriptions, brille de manière exceptionnelle par son absence totale de concept – absence que Rancière reconnaît ouvertement, et va jusqu’à revendiquer. À mon sens, cette sorte de paralysie relève du même type de sidération que celui produite par les images du terrorisme kamikaze elles-mêmes : elles témoignent de ce qu’il y a quelque chose qui se joue, dans les films qui la suscitent, de terroriste, au sens de la volonté de triomphe dans le domaine du visuel. De ce point de vue, les films de Tarr pour Rancière, ou ceux de Straub et Huillet pour Comolli, relèvent eux aussi de la logique du blockbuster : ces films sont leur Transformers IV ou leur 2012, bien qu’ils soient incapables de s’en rendre compte par refus d’y voir opérer ce qui, pour eux (en tout cas, pour Comolli), appartient au registre de la saloperie. Celle-ci, toutefois, n’existe que dans leur regard, de la même manière que les snuff-movies n’ont jamais existé autrement que comme légende urbaine autorisant tous les fantasmes, ainsi que l’on très bien démontré Antonio Dominguez Leiva et Simon Laperrière dans un petit livre récent.

« Autoriser les fantasmes », c’est-à-dire procurer une auctoritas, une autorité à ce qui n’est que préjugé, telle est peut-être la tâche que trop de spécialistes des images, ces temps-ci, ont fixé à leur entreprise, plutôt qu’accepter qu’il n’y a d’image que populaire, et donc ambiguë, improbable, vague, et laissée à la liberté de ceux qui en font quelque chose. Ce que les kamikazes, eux, ont très bien compris.

Un des autres points remarquables de votre réflexion sur les kamikazes consiste à évacuer ou tout du moins à déplacer la question pourtant tant rebattue du religieux du terrorisme pour mettre en lumière une notion délaissée mais pourtant neuve et riche d’implications : l’enthousiasme. En quoi vous semble-t-il que le terroriste est davantage un être enthousiaste, l’homme d’un sublime retourné en négativité plutôt qu’un homme spirituel et tourné vers le divin ? Pourquoi le kamikaze tente-t-il l’expérience du sublime ?
À ce titre, là encore, la superstition du kamikaze, si elle demeure, ne s’intéresse-t-elle finalement qu’aux images elles-mêmes, comme une religion d’icônes sans divin ? Jacques Derrida dans Surtout, pas de journalistes ! défend l’idée que le spirituel trouve dans le technologique et le médiatique son expression la plus consacrée : seriez-vous d’accord avec une telle proposition ?

J’en serais d’accord si on se souvient de la fameuse phrase de Hegel : « L’esprit est un os », expression signifiant, dans son chef, qu’il n’y a d’esprit qu’au cœur même de la matérialité ; l’esprit n’est pas le supplément d’âme animant la matière morte, il est cette matière morte en tant que telle. Si on admet cette proposition, alors il tombe sous le sens que l’esprit, à l’âge des images, se trouve tout entier contenu dans ces dernières, même si on le définit, à la manière du déisme ou à celui de l’animisme, comme ce qui, dans la matière morte, en rend possible le mouvement.

C’est le sens, je crois, de l’invention du concept d’enthousiasme par ceux qui, au début du 17e siècle, ont aussi inventé le concept de sublime – ou, du moins, qui en ont spécifié l’usage à l’intérieur de la tradition esthétique de l’Occident moderne (on pense à Kant et à Burke, bien entendu, mais aussi à Shaftesbury, Addison, etc.). Il est en effet amusant de constater que l’enthousiasme accompagne le sublime comme son double, son reflet ou son ombre portée ; il n’y a pas de sublime sans capacité à affecter les sujets d’une manière décisive, affect que les théoriciens du sublime ont nommé « enthousiasme ». Or l’enthousiasme, dans la tradition polythéiste grecque, est précisément l’état de celui qui est traversé par le « souffle divin » (en-thousiasmos, en grec), par une puissance en excès absolu par rapport à sa propre humanité, ou par rapport aux forces que cette humanité peut mettre en branle. On comprend pourquoi la notion a intéressé les Modernes : grâce à l’enthousiasme, ils disposaient d’un nom permettant de désigner l’émotion de celui qui se trouve confronté au spectacle de forces excessives, de forces toujours en excès par rapport au régime de beauté, réalisme et vie qui était celui de l’esthétique ordinaire.

Le hors-norme dont il est question dans le sublime est aussi celui de la puissance qui s’y manifeste – mais qui est une puissance interne à l’événement, tout comme l’ « enthousiaste » grec ne l’était qu’en tant que c’était lui qui était saisi par l’esprit, par le « souffle divin ». Les forces propres de l’humain se trouvent décuplées par ce qui apparaît comme un moment divin – moment qui, pour les théoriciens du sublime, est toujours le moment du spectacle (Kant considérait que la Révolution française relevait elle aussi du spectacle, raison pour laquelle l’enthousiasme y jouait un rôle si important). Or, il se fait que « kamikaze » traduit de manière exacte le mot grec « enthousiasme » : « Kamikaze » (un nom propre, qui devrait donc s’écrire avec une majuscule) est le nom de l’esprit peuplant un vent soufflant sur la plaine d’Ise – plaine où l’on trouve le sanctuaire dédié à la Kami Amaterasu, Kami du Soleil, considérée comme l’ancêtre direct de l’empereur du Japon. Un kamikaze, à proprement parler, est donc celui dont la puissance se trouve portée à l’excès par l’animation de son être par le « souffle divin », par une respiration de force dont l’incarnation parfaite est celle de l’explosion, et du « souffle » d’horreur et de mort qui l’accompagne.

Convoqué en filigrane tout au long de votre réflexion, le nom de Guy Debord, et notamment sa Société du spectacle, ne peut manquer de venir appuyer le règne du visible consacré par la figure du kamikaze. En quoi, selon vous, le terrorisme consacre-t-il, d’une certaine manière la société du spectacle en en offrant comme le couronnement ? Dans ce spectacle, le corps du kamikaze ne constitue-t-il pas la marchandise suprême du capitalisme le plus acharné : le produit même et le corps de celui qui produit niés et sciemment gâchés d’un même trait au même instant ?

On m’a souvent dit que mon travail devait beaucoup à l’œuvre de Guy Debord ou à celle de Georges Bataille ; même si j’imagine qu’il s’agit là de compliments, je dois avouer qu’ils me laissent un peu perplexe, tant il me semble évident qu’il se situe aux antipodes des tentatives signées par ces deux écrivains. A la critique debordienne du spectacle, je préfère de loin l’assomption baudrillardienne du simulacre compris comme lieu du vrai – j’ai décrit la tradition à laquelle je me rattache sur ce point dans le premier chapitre de Métaphysique de la putain, impliquant les figures de Charles Baudelaire et Jean-Luc Godard.

De même, je me situe au plus loin du ton de ressentiment hautain adopté par Debord à l’égard de ce qu’il considère comme une ignominie dont l’intelligence (la sienne) est supposée rendre raison ; pour ma part, je crois davantage au bon vieil apophtegme de Franz Kafka : « Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde ». Debord voulait avoir raison ; je veux avoir tort. Debord haïssait les images, le « spectacle » et la marchandise ; je crois que le monde n’a jamais été autre chose que ça, et que la question a toujours été non pas de s’en accommoder, mais de parvenir à se montrer à la hauteur de ce qu’images, spectacle et marchandise proposent.

Dans un livre extraordinaire consacré aux images de la publicité, Le bien dans les choses, Emanuele Coccia s’est approché au plus près de cette tentative, et sur un mode qui ne cesse de susciter mon admiration ; si je devais dire ma proximité avec le travail de quelqu’un aujourd’hui, je crois que ce serait le sien. Ou celui de l’exégèse de la pop culture que propose Pacôme Thiellement depuis déjà un bon paquet d’années ; ou encore de la métaphysique du « n’importe quoi » défendue par Tristan Garcia dans Forme et objet ; ou même de la matériologie de François Dagognet, dans Des détritus, des déchets, de l’abject, etc. En revanche, je crains que l’œuvre de Debord ne nous serve qu’à devenir plus bêtes que les choses qu’elle prétend dénoncer, une bêtise propice à la résurrection des formes d’explications dont nous parlions au début de cet entretien, qui confondent l’écrasement de leur objet sous le poids de leur grandeur avec l’intelligence qu’il est possible d’en recevoir.

Laurent de Sutter, Théorie du kamikaze, PUF, 2016, 110 p., 11 €