En écoutant Straub et Huillet

Danièle Huillet et Jean-Marie Straub

Le film, une longue patience
Une attente comme, par exemple, la patience du vent

Cézanne a eu la patience d’attendre de voir les nuages pour la première fois
Nuages qui furent autrefois des flammes
Et pour la première fois, ici, il y a du vent sur un écran
Beaucoup de choses qui viennent du vent
Ni arbres ni nuages, mais il y a le vent et tout ce qui bouge
Le vent attend sans que l’on sache ce qu’il attend
En attente de quelque chose ou en attente de lui-même
Ce qui bouge vient de la musique
Et le vent, c’est d’abord la musique
Ce qui fait se mouvoir les choses, les regards et les ombres
Le film est peuplé du vent, de ce vent
De ces ombres, de ces regards
Comme les tableaux de Cézanne peuplés de nuages et de l’attente de ces nuages
Le film est un documentaire sur le vent
Un documentaire peuplé par le vent – et peuplé de l’attente du vent
Parfois il faut patienter vingt ans pour faire un film
Et lorsque le film se fait, il est le film de ces vingt ans
Vingt années contenues dans le temps d’un film
Un temps suspendu de vingt ans à travers la durée d’un film
Parfois il faut rêver un film longtemps avant de le faire
Et lorsque le film se fait, qu’il soit aussi le rêve long de ce film
Pour, à chaque fois, faire un film pour la première fois
Inventer le film pour la première fois, filmer ce film
La longue attente des nuages et du film