Bigger : pop XXL — Entretien avec Kevin Twomey et Damien Félix

Avec Bones And Dust, le groupe Bigger signe un premier album pop et mélodique, teinté de blues, porté par la voix habitée de Kevin Twomey et la guitare expressive de Damien Félix. Rencontre et entretien avec les deux fondateurs.

Kevin, tu fais de la musique depuis quand ?

K.T. : Depuis l’enfance. J’étais dans un environnement où il y avait de la musique. Je joue de plusieurs instruments mais le chant, la voix est l’instrument que je préfère, qui me correspond le mieux. C’est un instrument avec lequel tu peux voyager, avec lequel tu peux faire de la musique partout, tout le temps. Une guitare produit une émotion particulière, une batterie produit un autre type d’émotion. Mais si on creuse le chant, la façon d’appréhender le chant, on peut réellement exprimer ce que l’on est soi-même par le biais de sa propre voix.

Damien, si toi aussi tu es multi-instrumentiste, tu es surtout guitariste. Comment es-tu venu à la musique ?

D.F. : J’ai commencé également durant l’enfance et, comme pour Kevin, j’étais dans un environnement où la musique était très présente. J’ai fait de la batterie, de l’accordéon, je jouais de l’harmonica et enfin, aussi, de la guitare. Je me vois maintenant surtout comme un guitariste. J’ai longtemps pensé que j’étais une espèce de touche à tout, mais maintenant je me reconnais avant tout comme un guitariste. Ce qui m’intéresse, c’est le travail de composition et d’arrangement, et le fait de savoir utiliser plusieurs instruments m’aide, me permet d’avoir un point de vue un peu large.

Comment s’est fait le passage d’une pratique de la musique en amateur, très jeune, à l’idée que cela pourrait être une activité à plein temps et professionnelle ?

D.F. : En grandissant, la musique est devenue une passion et un besoin.

Tu as appris la musique en suivant des cours ?

D.F. : J’ai suivi des cours de batterie et pour le reste en autodidacte.

K.T. : Au début, j’ai appris tout seul. J’étais en Irlande et j’ai fini l’école à 16 ans. J’ai tout de suite enchaîné sur une école de musique, durant un an. Ça m’a surtout montré que j’étais un bon autodidacte et que je devais continuer dans cette voie. J’ai étudié aussi la technique du son, ce qui m’a appris que je n’étais pas très doué pour les choses un peu cérébrales dans la musique. Les émotions, travailler dans l’émotionnel me correspond davantage. J’ai toujours aimé la musique et je me rends compte que cet amour devient toujours plus fort. Et la musique est aussi un vrai médicament !

Vous faites chacun partie d’un autre groupe que Bigger. Toi, Damien, tu es membre de Catfish, avec Amandine Guinchard, et Kevin tu fais partie de Monsieur Pink. Comment avez-vous décidé de travailler sur ce projet d’un autre groupe ?

D.F. : Kevin s’est installé pas loin de l’endroit où j’habite et nous nous sommes rencontrés par le biais d’amis communs. On a sympathisé et, en parlant de musique, on s’est rendu compte qu’on avait beaucoup de goûts communs. Je lui ai proposé quelques morceaux sur lesquels il a posé des textes et du chant. Comme ça fonctionnait bien, on a eu envie de continuer. On a enregistré un EP et comme la réception était bonne, on s’est dit que l’on devait passer au live.

Monsieur Pink

Qu’apporte Bigger par rapport à chacun de vos autres groupes ? Qu’est-ce que ça permet et qui serait plus difficile ou impossible dans le contexte des autres groupes ?

D.F. : Catfish est un groupe où nous sommes seulement deux. L’esthétique et les partis-pris sont différents de ceux de Bigger où nous sommes cinq sur scène. Les arrangements, les compositions sont très différents de ce que nous faisons avec Catfish. Le fait d’être deux, dans Catfish, nous amène à faire des choix radicaux, à produire une musique plus brute, frontale. Pour Bigger, les arrangements sont plus riches, l’esthétique est plus élaborée.

K.T. : Monsieur Pink est un groupe davantage rock, presque grunge. Avec Bigger, le chant est plus mis en avant. Damien compose les morceaux mais il me laisse carte blanche pour le chant et donc je peux me permettre des choses que je ne pourrais pas faire avec Monsieur Pink où le chant est, si l’on peut dire, plus immédiat : il y a une ligne chantée principale, quelques harmoniques interprétés par les autres membres du groupe mais notre style de musique ne permet pas de faire beaucoup plus. Avec Bigger, au contraire, je peux vraiment diversifier et expérimenter.

Ce qui est frappant dans le disque, c’est que ta voix est très belle mais aussi, justement, très diverse. Ton chant est très varié. Il y a des passages lyriques, émotionnels, d’autres plus bruts, d’autres plus intériorisés. Ta voix peut monter assez haut ou descendre dans les graves, être retenue ou s’emballer. Il y a vraiment une gamme assez large et c’est donc ça que tu ne pourrais pas exploiter de la même manière avec Monsieur Pink ?

K.T. : Avec Damien on passe beaucoup de temps à parler, à s’écouter, à réfléchir à ce qu’on pourrait inventer, à ce qu’on aurait envie d’expérimenter. Et c’est aussi valable pour la voix et le chant. Donc, j’essaie de créer des harmonies particulières, ou de chanter comme une fille, ou de manière très brute, ou comme un clown.

D.F. : Kevin a une force d’interprétation de ses textes qui est puissante. On fait de la pop, de la chanson pop, donc il y a un texte qui raconte quelque chose. Et Kevin va réellement loin dans les interprétations qu’il propose de ses textes.

Comment est-ce que vous travaillez ? Damien, tu fais les musiques et ensuite Kevin écrit les paroles ou ça peut varier ?

K.T. : Je travaille les paroles et le chant. Souvent Damien apporte quelque chose et à partir de ça je vais passer du temps à chercher. Parfois, c’est juste un mot qui m’inspire. J’ai aussi beaucoup de choses que j’écris dans des carnets que je noircis tout le temps et je peux composer des textes à partir de ce matériau.

La musique vient toujours en premier ou ça peut être le texte ?

D.F. : On part toujours de la musique. Ce qui m’intéresse dans ce que je compose, c’est de créer des atmosphères très marquées, qu’il y ait toujours un univers défini, presque cinématographique pour certains titres. Et c’est le plus souvent cette atmosphère qui guide Kevin pour les paroles.

Comment est-ce que tu travailles pour composer ? Tu t’assois et tu te mets au travail ou bien est-ce que c’est plus sporadique, selon le moment, en fonction d’une idée soudaine ?

D.F. : Le processus peut être assez long. La plupart du temps, ça part de la guitare, d’un truc qui me paraît intéressant mais que je ne vais pas enregistrer tout de suite. Je laisse mûrir, je le joue plusieurs fois, je cherche, je vois ce qui peut aller avec. C’est en creusant ainsi que j’arrive à dégager une certaine atmosphère, c’est ça que je recherche. Si ce que je joue à la guitare ne me pousse pas vers un état d’esprit particulier, je laisse tomber. Si, à l’inverse, j’ai l’impression d’avoir trouvé quelque chose d’intéressant, j’enregistre et je réfléchis aux arrangements possibles, quel genre d’instruments, etc.

Dans l’album, la voix est mise en avant mais aussi la guitare, qui est omniprésente et utilisée de manière complexe et variée, mélodique autant que rythmique. Parfois elle donne l’impression d’être une seconde voix, celle d’un second chanteur, en tout cas d’accompagner le chant de Kevin, de faire partie elle-même du « discours ». Pourquoi travailler avec la guitare en particulier, pourquoi cet instrument et pas un autre ?

D.F. : Je ne saurais pas répondre précisément. Je suppose que chaque musicien à des affinités avec un instrument en particulier. Tout à l’heure, Kevin disait que le moyen, pour lui, de provoquer des émotions, c’est sa voix, le chant. Dans mon cas, et pour les mêmes raisons, c’est la guitare. Ceci dit, je ne me représente pas comme un guitar hero. Ce qui m’intéresse vraiment, ce sont les mélodies, le travail du son, plus que l’aspect technique du jeu à la guitare.

Quels sont les guitaristes qui t’intéressent ?

D.F. : Il y en a beaucoup. Un qui m’intéresse particulièrement, c’est Jamie Hince, le guitariste de The Kills. Il n’a pas un jeu hyper virtuose, ce qui en soi ne m’intéresse pas, mais c’est un jeu très rusé, très intelligent, avec une puissance mélodique et une culture du son importante. Dans un autre style, il y a aussi Anna Calvi qui a un jeu très typé, très personnel. Ce que je cherche à faire, c’est créer un son qui ait une personnalité, et c’est ce qui m’attire chez les guitaristes que j’aime.

Dans les articles que j’ai lus sur Bigger, les journalistes citent volontiers, justement, Anna Calvi ou Nick Cave. Dans la façon dont Kevin chante on peut peut-être aussi entendre, parfois, quelque chose de Simple Minds. Quels sont les musiciens que vous écoutez ?

D.F. : Mon grand amour, ce sont les Beatles.

K.T. : Oui, les Beatles aussi. J’écoute leurs disques depuis toujours. Il y a beaucoup de chanteurs qui m’inspirent, comme Jeff Buckley, Bon Iver, Freddy Mercury. Ce sont des chanteurs qui ont leur propre monde. Ce n’est pas tant la technique qui m’intéresse que le monde qu’ils créent et ce que leur chant laisse transparaître des sentiments ou des émotions.

D.F : Pour les Beatles, je trouve que pour les compositions et les arrangements, on n’a pas fait mieux. Dans la pop, ils ont inventé beaucoup de choses. Les compositions sont extrêmement riches, les arrangements sont prodigieux. Je peux les réécouter cent fois et découvrir encore des choses nouvelles.

Et pour les paroles, les Beatles sont aussi un modèle ?

K.T. : De ce point de vue, il y a deux Beatles différents, deux périodes différentes. Ceux qui, jusqu’à environ 1966, chantent I wanna hold your hand, et ceux d’après. J’ai l’impression qu’ils sont passés par une remise en question radicale et ont réellement interrogé ce qu’ils faisaient et les raisons pour lesquelles ils le faisaient. A partir de 1966, de Sgt. Pepper, on voit bien que quelque chose a changé. On remarque l’influence de nouveaux instruments. Leurs nouvelles façons de composer, leur nouveau style musical n’ont pu qu’entraîner de nouvelles façons d’écrire des textes. L’atmosphère bizarre de leur musique, l’invention et l’utilisation de techniques d’enregistrement étranges impliquaient de nouvelles formes d’écriture, différentes de I wanna hold your hand. En ce qui me concerne, la façon de jouer et de composer de Damien me pousse vers d’autres voies émotionnelles et m’oblige à chercher des formes d’écriture qui ne sont pas spontanées ou habituelles pour moi.

Tes textes sont surtout d’inspiration lyrique, exprimant des sentiments, des états intérieurs. Est-ce qu’il s’agit d’un choix ou est-ce que c’est ce type de texte qui te vient spontanément ?

K.T. : Ce que j’essaie de faire dans mes textes, c’est prendre une photographie d’un moment, de capturer un moment présent avec le ressenti qui l’accompagne. Je suis quelqu’un de sensible et c’est avec ce genre de texte que je peux aller le plus loin dans l’expression de ce que je ressens.

Vous avez cité des auteurs et des musiciens anglo-saxons, est-ce que vous écoutez aussi des musiciens français ?

D.F. : Je suis un grand fan de serge Gainsbourg, en particulier Melody Nelson. On peut faire difficilement mieux que ça. Il y aussi Dominique A ou le dernier album d’Arno.

Et toi Kevin, tu écoutes de la musique française ?

K.T. : Oui, bien sûr. Même si ce n’est pas le même style que ce que l’on fait, par exemple, j’aime bien M. Dans la façon dont beaucoup d’auteurs anglo-saxons écrivent leur texte aujourd’hui, il y a quelque chose de léger mais aussi une arrière-pensée peut-être plus profonde ou plus intéressante. M écrit un peu comme ça.

Dans l’album Bones And Dust, le son est presque live, sans effets technologiques très complexes. Comment avez-vous travaillé en studio ?

D.F. : Avant d’aller en studio, les chansons étaient prêtes, déjà pensées et écrites. L’esthétique et le genre de son que l’on voulait étaient aussi déjà définis. Chez moi, lorsque je réalise les maquettes, je pense déjà à tous ces aspects. Le travail en studio consiste à réaliser au mieux ces idées mais aussi à les pousser plus loin. Ce que j’aime, ce sont les sons où on sent la pièce, la profondeur, les plans différents. Sur cet album, on a vraiment cherché à exploiter ces possibilités.

Le studio est surtout un moyen de réaliser des idées ?

D.F. : Oui, exactement. Même si bien sûr, et heureusement, être en studio fait naître aussi des possibilités et des idées.

Bowie, par exemple, avait l’habitude, en tout cas sur certains albums, de créer directement en studio et avec le studio, comme s’il s’agissait d’un instrument de création à part entière.

D.F. : Bowie et d’autres sont des artistes qui peuvent passer le temps qu’ils veulent en studio. Et, pour parler de manière très pragmatique, ce n’est pas notre cas, pour des raisons financières. Les Beatles pouvaient passer des mois et des mois sur un album, mais pas nous. Ceci dit, la possibilité nous intéresserait, bien sûr.

K.T. : Même si on avait pensé les choses avant, le fait d’être en studio permet de tester beaucoup de choses, en particulier pour le chant. Et en testant, parfois, il y a des surprises, des choses nouvelles que l’on peut exploiter.

Quand on est un jeune groupe comme vous, comment est financé un album ?

D.F. : On a la chance d’être suivis par le label Troll’s Production, qui est le label qui me suit depuis plusieurs projets. Et ils ont tout de suite adhéré au projet de Bigger.

Est-ce qu’il y a d’autres formes d’art qui vous intéressent, voire vous influencent?

D.F. : Indirectement, puisque ma copine est graphiste, sans doute que le graphisme et les arts plastiques doivent influencer ce que je fais dans la musique. Par exemple, je vis à la campagne, au milieu des falaises et des lacs, et on me demande souvent si ce cadre m’inspire pour créer. Je ne peux pas répondre clairement à cette question, ni dire précisément que tel livre ou tel film m’ont influencé mais je suppose que l’on intègre toutes ces choses et qu’elles ressortent d’une manière ou d’une autre.

K.T. : Je suis très intéressé par l’écriture. Avec mon frère, qui a un master en Anglais, on passe beaucoup de temps à discuter de mes textes. J’aime aussi beaucoup le cinéma, les acteurs qui incarnent telle ou telle émotion. De ce point de vue, l’écriture et le chant sont très liés au cinéma : un bon chanteur doit incarner ses émotions.

Il doit incarner un personnage ?

K.T. : Oui, c’est ça.

Quels sont les projets pour Bigger ?

D.F. : On va continuer à collaborer tout en travaillant avec nos groupes respectifs. On espère aussi que Bigger pourra enregistrer un LP l’année prochaine. Et, bien sûr, on va faire des concerts.

BIGGER, Bones And Dust, novembre 2016. Kevin Twoney : lead vocal / guitar ; Damien Félix : guitars ; Ben Muller : keyboards ; Antoine Passard : drum ; Mike Prenat : bass guitar.

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