Sculpture as place 1958-2010 : Carl Andre

Carle Andre © Christian Rosset

Carl Andre est né en 1935 à Quincy (Massachusetts), “une ville côtière près de Boston où s’étendaient la pierre et la mer les plus glaciales de tous les pays puritains”. Il est poète et sculpteur, ce qui ne signifie pas que sa poésie soit sculpturale ou que ses sculptures soient poétiques, même s’il y a chez lui, d’un domaine à l’autre, des processus de transformation, de mutation dans l’espace-temps : un devenir-sculpture de la feuille dactylographiée ou une traversée poétique du lieu d’exposition. Que son art se déploie sur deux ou trois dimensions, ce qui compte, c’est comment la circulation des corps (doués de regard, mais pas seulement) ouvre un espace d’échanges où le silence a autant son mot à dire que la parole.

“Je crois que toutes mes œuvres ont été conçues, à un degré ou à un autre, pour qu’un spectateur en fasse le tour ou marche le long d’elles… Pour moi, une sculpture est semblable à une route ; elle n’est pas faite pour être vue d’un endroit particulier. Les routes apparaissent et disparaissent. On les emprunte pour voyager, elles ne sont pas statiques, elles sont en mouvement, que l’on se déplace sur elles ou à côté d’elles, notre perception est en mouvement…”.

“Le plaisir est très lié à l’enfance : à la découverte que l’enfant fait du monde”. Sculpture as place 1958-2010 est un des événements majeurs de cette rentrée. C’est la troisième fois qu’un musée, en France, ouvre un espace conséquent à ce travail (et la deuxième dans ce Musée après celle de 1979 – déjà dans les salles de l’ARC – que j’avais eu la chance de voir, encore jeune homme, et qui m’avait marquée, ô combien). Entre ces deux exhibitions parisiennes, le Musée Cantini, à Marseille, avait proposé en 1997 un montage important de sculptures de Carl André, tandis que le Centre de la Vieille Charité montrait son travail de poète (un indispensable catalogue accompagnait ce travail de mise en lumière, proposant des textes de premier plan, notamment celui de Marianne Brouwer, Aperçus sur le sens dans l’œuvre de Carl André, dont les citations de l’artiste que je viens de recopier sont tirées).

“Mes œuvres ne sont pas l’incarnation d’idées ou de conceptions. Elles sont, comme le dit William Blake, les traits du désir contenté”. La Dia Fondation à New York est à l’initiative de cette nouvelle occasion de nous frotter à ce travail toujours en cours (l’artiste a déclaré s’être retiré, non du monde, mais de la pratique de son art qui demande un corps vaillant, ce que le grand âge – il a aujourd’hui quatre-vingts ans – ne permet plus ; cependant – on peut le découvrir au terme du parcours dans cette exposition – il continue de produire de petites choses non-indifférentes), même si les deux dates en titre (1958-2010) pourraient donner l’illusion qu’il s’agit de construire une stèle, funéraire : marquer le fait d’un achèvement (Carl André a photographié un cimetière sous la neige, dont une tombe à son nom : forme, si on veut, de sculpture as place. On trouve cette image à la toute fin – comme en conclusion – du catalogue de 1997. Il faut la prendre avec humour en pleine conscience du désir de l’artiste que la lecture de son travail, sur plus d’un demi-siècle, échappe à toute approche chronologique).

Carle Andre © Christian Rosset
Carle Andre © Christian Rosset

Paris est le quatrième lieu où se concrétise matériellement ce projet rétrospectif (après New York, Madrid et Berlin ; Los Angeles sera, l’an prochain, l’ultime étape de cette tournée). Sculpture as place est, comme il se doit, accompagné d’un épais catalogue comprenant en sa première moitié plus de deux cent pages de photographies de sculptures installées dans divers lieux, de manuscrits, poèmes, collages, envois postaux (etc.) et, en sa seconde, de textes extrêmement fouillés et passionnants, touchant à tous les aspects de l’œuvre de Carl André (ne réduisant pas son travail poétique à un vague supplément) : onze essais, bio & bibliographie (etc.). Cet ouvrage – qui est, au fond, bien davantage qu’un catalogue : une somme – est aujourd’hui traduit en français et publié par Paris Musée. Sur la couverture, nulle image, mais, en lettres blanches sur fond bleu, un poème (datant de 1963) :

preface to my work itself

in, is, my, of, art, the, into,
made, same, this, work, parts,
piled, piles, broken, pieces,
stacks, clastic, stacked,
identical, interchangeable

CARL ANDRE”

On comprend que, chez lui, la sculpture, comme le poème (et bien d’autres choses, plus secrètes), est affaire, avant tout, d’assemblage. Au fond, Carl Andre ne sculpte pas : il construit. Les syllabes sont, ici, séparées par des virgules, comme les morceaux de bois (ou de métal) le sont par des espaces précisément calculés dans le lieu de l’agencement (et, bien entendu, c’est le lieu qui conduit l’affaire et la matière qui décide).

L’usage des mots, le subtil ordonnancement des lettres qui les composent dans la page, comme en préécho à cet art de l’agencement dans l’espace de pièces de bois (ou autres matières, mais toujours sans mélange), n’a pas pour but, chez lui, de nous infliger un discours préétabli. Il s’agit plutôt de nous conduire à penser par nous-mêmes – et même à repenser notre rapport au monde (en évitant d’oublier que nous fumes, dans un temps plus ou moins lointain, enfants), et ceci avec trois fois rien (quelques pièces usinées sans apprêt ; ou quelques lettres frappées sur des rubans encreurs usagés).

Matter est un mot clé. En ouverture du catalogue du Van Abbermuseum d’Eindhoven (étape de de la première série d’expositions de 1978/79 où les pièces montrées étaient toutes en bois), Carl Andre avait écrit ceci : “Wood is the mother of matter. Like all women hacked and ravaged by men, she renews herself by giving, gives herself by renewing. Wood is the bride of life in death, of death in life. She is the cool and shade and peace in the forest. She is the spark and heat, ember and dream of the earth. In death her ashes sweeten our bodies and purify our earth. In her plenty is never wasteful, passion is never wanton. She never betray us even when we are unworthy. She greets us in the morning of our birth and embraces us in the evening of our death whether dark in the chambered earth or bright in the consuming fire. O mother of matter, may you share your peace.”

Je tente une traduction (qui me semble possible sans grand dégât, contrairement au poème-préface que j’ai cité plus haut) : “Le bois est la mère de la matière. Comme toutes les femmes massacrées et dévastées par les hommes, elle se renouvelle en donnant, se donne en renouvelant. Le bois est l’épouse de la vie dans la mort, de la mort dans la vie. Elle est la fraîcheur et l’ombre et la paix dans la forêt. Elle est étincelle et chaleur, braise et rêve de la terre. Dans la mort, ses cendres adoucissent nos corps et purifient notre terre. En elle, abondance n’est jamais gaspillage, passion n’est jamais impudeur. Elle ne nous trahit jamais même quand nous sommes indignes. Elle nous accueille au matin de notre naissance et nous étreint au soir de notre mort, sombre dans la terre tempérée ou brillante dans le feu dévorant. O mère de la matière, puisses-tu partager ta paix. »

Carle Andre © Christian Rosset
Carle Andre © Christian Rosset

Le bois en question est le cèdre rouge : presque aussi immuable, solide, que la pierre et rayonnant d’une odeur plaisante. Mais si le bois est “mère de la matière”, Carl Andre fait aussi usage de métaux et de pierres. Et parfois de matériaux moins nobles. Il dit : “Mon travail nécessite des matières qui portent déjà l’empreinte de l’homme”. Puis ajoute : “A thing is a hole in thing that is not” (Un objet est une brèche dans quelque chose qui n’existe pas – brèche ou entaille dans l’espace).

Les liens entre (nommons-les selon l’ordre alphabétique) forme / lieu / matériau / structure sont ce que nous devons interroger en pénétrant, en embrassant, en mémorisant, en tournant autour, aussi bien les sculptures que les écrits (les frappes), quelles qu’en soient la dimension, la date de conception, ou d’exécution. Le plus grand plaisir est dans le retour sur les lieux, appréhendant autrement ce qui est proposé, aussi bien au regard qu’à tout ce qui peut se mettre en branle en nous (une des erreurs les plus graves quand il est question du travail de ceux qui ont été associés au minimalisme est de penser que toute forme de sensualité en est absente).

“Je trouve que ma plus grande difficulté, l’aspect le plus douloureux et le plus difficile de mon travail, est de vider mon esprit, de le débarrasser de tout ce fardeau de significations que j’ai absorbées, dues à la culture ambiante, de toutes ces choses qui semblent avoir un rapport avec l’art quand, justement, c’est tout le contraire. C’est là le seul aspect du terme art minimal qui pour moi a toujours été au premier plan et qui fait que je me suis toujours considéré comme artiste minimaliste. Il faut absolument se débarrasser des filets de sauvetage, des certitudes, des idées préconçues, pour se mettre à quelque chose de plus proche, qui ressemble à une sorte de vide. Pour ensuite reconstruire à partir de cette situation réduite. C’est peut-être une autre façon de rechercher l’art pauvre, il faut appauvrir son propre esprit…”

Pour retrouver le corps ? Ces espaces d’exposition fonctionnent comme autant de métamorphoses du Ryōan-ji, où faire le vide, c’est aussi faire le plein, notamment de lumière ; afin, entre autres, de respirer mieux. “Ma sculpture est pour moi ce que la luminosité est à la luciole”. Ne jamais oublier que Carl André a été sensibilisé à l’art de la poésie (il revendique le choc essentiel qu’a été pour lui la découverte de Pound) avant celui de la sculpture. “Chacun fait appel à une partie précise du cerveau. La poésie, c’et le langage structuré par un art distinct, en règle générale la musique. Moi, j’ai voulu structurer le langage selon notre sens visuel et, en quelque sorte, selon l’arithmétique”. Mais ne pas tomber dans le piège de la soi-disant magie des nombres (“J’apprécie simplement les mathématiques comme on nous a appris à aimer la musique à l’école primaire. Mais je ne crois pas plus en la magie des nombres que je ne crois en la magie de la poésie.”). Tout est ici calculé, mais juste parce qu’il le faut. Parce que, sans cela, rien ne pourrait être mis en place et la mise en chemin n’aurait pas lieu.

Carle Andre © Christian Rosset
Carle Andre © Christian Rosset

Question d’économie aussi. En ce qui concerne le marché (on n’y échappe pas, mais on peut en changer les règles. Par exemple, en 1971, il avait imaginé que chaque acquéreur devrait payer 1% de ses revenus annuels par mètre de sculpture. L’achat serait assorti d’un accord selon lequel, en cas de revente, 10% de la plus-value devrait être reversés à l’artiste). Et revendication du refus de tout utilitarisme (“j’utilise les matériaux de la société sous une forme dont la société n’a pas besoin”). Pourtant, il se voit comme un artiste de la grande tradition (“quitte à paraître complètement fou, je vois mon travail dans la lignée de Brancusi, Rodin, Bernini, Michel-Ange et encore en amont d’entre eux…” “Après 40 ans je me considère moins comme l’héritier de Brancusi que comme son serviteur”). Il est vrai que son acte le plus singulier aura été, selon ses propres termes, de “poser la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol, au lieu de la dresser vers le ciel” (et l’on se souvient de la célèbre “formule” du sculpteur roumain : la simplicité est la complexité résolue). Et, comme le regard a tendance à se diriger, le plus souvent, vers ce qui se produit à l’horizontale, donc en face et, parfois, vers le haut, prenant le chemin du ciel (le regard tendu vers le bas est associé à l’emprise de la mélancolie ; frappé d’interdit, en d’autres temps, il n’est pas encore, aujourd’hui, réflexe premier), le visiteur de ces installations dans l’espace-temps du Musée pourrait parfois se croire étrangement projeté dans une salle vide, marchant, sans vraiment s’en rendre compte, sur une œuvre, une sculpture que l’auteur lui aura permis de fouler de ses propres pas (c’est la merveille pollockienne : on a marché sur la peinture ! Et soudain, quelques années après, l’impensable se réalise : marcher sur la sculpture…).

J’ai affirmé, pour commencer, que Sculpture as place 1958-2010 n’était pas le tombeau de l’œuvre de Carl André. J’ai noté l’importance de tout ce qui lui donne vie : matières solides ou non (bois, pierre, métal papier, air, lumière…). S’y frotter à mains nues peut vous offrir l’inconvénient douloureux de quelques échardes ou coupures (la vie à l’état brut – non lisse). Mais l’artiste est conscient de ce que « l’invention de la sculpture fut la conséquence directe de la découverte de la mortalité humaine. Toute sculpture marque dans une certaine mesure le décès d’un être humain”. Minimalisme se lie toujours à : mélancolie / méditation / mémoire. “La vraie perte, c’est l’oubli. Mon travail est commémoratif, il commémore la perte de la vie à laquelle nous sommes tous confrontés”.

Reste à interroger la question de l’accidentalité. On le voit bien : les pièces usinées – de bois, de métal ou de tout autre matériau – ne sont pas absolument identiques, et c’est bien cela qui nous touche, finalement. Mais qu’en est-il du désir de l’artiste ? De son vœu ? Il est clair qu’il ne souhaite pas insister sur les différences entre les pièces de même matériau. Il préfère que la totalité prime sur le détail. Mais il n’en est pas moins évident que les “défauts” du bois (par exemple) participent du plaisir de la déambulation. Plus ils seront subtils, discrets (une poutre de bois clairement fendue en son centre, ce serait trop), plus ils nous parleront (en silence – mine de rien). J’imagine, en contrepoint musical de ma déambulation, un concert de murmures, bouches fermées, accordés à des lignes d’archet, sans vibrato, mais néanmoins vibrantes, ou quelques ponctuations sonores aux percussions, frappées à la main. Le bois est aussi mère de la matière, en musique. Un dialogue est possible. Certains travaux de Carl André peuvent être aussi pensés en tant que partitions. Ce qui est certain, c’est de cette forme de minimalisme n’a que peu à voir avec ce que les répétitifs américains ont proposé au milieu des années 1960 (mais c’est une autre histoire ; restons-en là pour le moment. On peut juste noter que c’est quand même affaire de génération : en Amérique, l’an 1935 est aussi celui de la naissance de La Monte Young ou de Terry Riley ; Frank Stella ou de Steve Reich, pour ne nomme que ceux qui ont été, aux USA, des minimalistes reconnus, naitront l’année suivante, en 1936. Mais il ne faudrait pas oublier que 1935 est aussi l’année de naissance d’Elvis Presley et de Jerry Lee Lewis).

Carle Andre © Christian Rosset
Carle Andre © Christian Rosset

Dans un monde où presque tout tend à nous retenir prisonnier, nous contraignant, en attente de la délivrance finale, à demeurer ce que nous croyons être, les rares ouvertures se bouchent si rapidement qu’il est plus que jamais nécessaire de décrasser, non seulement le regard, mais aussi les autres sens – ce qui commande à la marche, ce qui a le don de nous mettre en chemin. Sculpture as place 1958-2010 est à parcourir – traverser sans avoir peur de revenir de temps à autre sur ses pas – en ce sens. On en sort en meilleur état qu’on n’y est entré. Après, bien entendu, on peut redescendre et se priver de la lumière du jour pour aller voir la rétrospective Bernard Buffet (qui propose quelques tableaux intéressants – on les compte sur les doigts de la main). Mais il est conseillé d’aller refaire un tour dans les salles de l’ARC après. Et d’y rester quelque temps, le temps d’enclencher la tête d’effacement…

Carle AndreQuestions à Sébastien Gokalp, commissaire de l’exposition (dont on lira utilement Le temps infini de Carl André, écrit en contrepoint de cette exposition, téléchargeable ici.

Cette exposition Carl André a été conçue à l’origine pour la Dia Foundation. Elle a déjà voyagé de New York à Berlin en passant par Madrid. Elle ira ensuite à Los Angeles. Comment a-t-elle été adaptée à ce lieu spécifique qu’est le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris ? Et pourquoi avoir choisi les salles de l’ARC ?

L’exposition a été adaptée de deux manières : d’une part, l’espace était plus restreint que celui des étapes précédentes, 1000 mètres carrés (contre plus de 6000 à Berlin !), ce qui imposait de ne présenter que les œuvres essentielles et de les présenter en vis à vis (et non une œuvre par salle, comme à Berlin). Cette densité, qui reprend finalement celle des présentations des années 1960, en fait presque une exposition “vintage”. Les œuvres perdent en espace vital, mais gagnent en confrontation, mise en relation. La relation se fait plus entre les œuvres qu’avec le lieu d’exposition – même si dans toutes les versions, ces deux types de relation sont essentielles.

Du coup, le positionnement de chaque œuvre a été fait quasiment au centimètre, on ne pouvait pas se permettre d’erreur, on a tâtonné en une vingtaine de plans ! Mais finalement, à l’accrochage, peu de modifications se sont imposées. D’autre part, l’exposition se déroule de manière chronologique. Le parcours “en enfilade” de l’ARC y incite ; mais surtout, je voulais montrer que l’œuvre de Carl André, même si elle tourne autour de quelques invariants rapidement établis, est le résultat d’une succession d’étapes : une double ouverture poèmes/sculptures, puis une attention aux matériaux, puis la mise en place du principe d’assemblage, le basculement au sol, la planéité, l’appropriation de l’espace, enfin ; et un retour final aux petits formats des débuts. C’est aussi une œuvre empreinte son époque, et la présenter de manière atemporelle me semblait appauvrissant – même si Carl André insiste sur la primauté de la Gestalt, de la relation à l’espace sur la chronologie.

La lumière a-t-elle une importance capitale pour la présentation des œuvres ?

Les salles de l’ARC, avec leurs verrières aux structures très mécaniques, son éclairage zénithal naturel, étaient parfaites : quand vous regardez le sol, vous regardez ensuite le ciel ! Nous avons retiré tout le velum et les cloisons pour ouvrir au maximum l’espace et se retrouver avec l’architecture du bâtiment. La lumière a une grande importance pour les œuvres. Elle met en valeur les surfaces créées par celui qui se considère un “matiériste” plus qu’un matérialiste, et considère employer les métaux, comme les peintres jonglent avec les couleurs. De plus, le temps qui passe, une dimension intrinsèque aux œuvres d’Andre, prend vraiment sens avec les variations de lumière dans la journée.

Carl André a-t-il participé à ce travail ? Je veux dire : autrement qu’en donnant des indications pour chaque pièce retenue ?

Carl André a participé en amont de l’exposition, notamment pour le choix des œuvres (une étape menée avec la Dia) ; pour la présentation à Paris, nous en avons parlé une après-midi à New York chez lui, le reste du temps j’envoyais les propositions à Yasmin (Raymond), la commissaire américaine, et à Carl André, puis chacun réagissait en fonction. Mais pour Carl Andre, l’œuvre doit vivre sa vie indépendamment de lui. Si elle est bonne, elle doit pouvoir s’adapter aux lieux. 

Comment concilier circulation libre à l’intérieur de l’exposition et nécessité de protection des œuvres ?

Pour la circulation, un des enjeux de l’exposition était d’autoriser les visiteurs à marcher sur les œuvres métalliques au sol, comme le souhaite Carl Andre, alors que certains prêteurs ne veulent pas voir leur œuvre évoluer. Nous avons donc dû obtenir leur accord, ou renoncer à les présenter. Après, la circulation entre les pièces d’une même œuvre plus verticale est parfois permise, parfois non (lorsqu’il y a un risque de contact ou de dégradation), nous avons donc fait un plan très précis pour simplifier au maximum le travail des agents d’accueil.

Comment penser le fait que Carl André doive cohabiter avec Bernard Buffet ? Y a-t-il des liens paradoxaux à trouver entre ces deux artistes a priori incompatibles ?

Concernant la cohabitation Buffet / Andre. Exposer ces deux artistes que tout apparemment oppose, c’est mettre en valeur la pluralité artistique de ce second vingtième siècle. Ils travaillaient tous deux en Occident, à la même période, et ont tous deux été considérés comme des artistes majeurs. Ce type de rapprochement, sciemment établi par le directeur du musée, est le même que celui qu’expérimentait Rudi Fuchs dès les années 1980. Il n’y a aucun lien entre ces deux artistes, mais souvent les gens réagissent en se sentant plus proche de l’un ou de l’autre – le billet combiné permet une ouverture rarement offerte !

 

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, salles de l’ARC, du 18 octobre 2016 au 12 février 2017 — Informations ici — Plein tarif : 9 €, tarif réduit : 6 €, gratuit pour les moins de 18 ans ; Billet combiné : « Bernard Buffet » + « Carl Andre » Plein tarif: 15 € et tarif réduit : 10 €

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris
Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22 h (expositions uniquement)
Fermeture exceptionnelle actuellement. Réouverture du 12 décembre au 12 février.

Signalons que Christian Rosset vient de faire paraître avec Jochen Gerner Le Minimalisme au Lombard (« petite bédéthèque des savoirs »), excellent livre dont Diacritik a rendu compte ici.