Les animals

© Jean-Baptiste Del Amo

Les Animals, par Denis Seel, à partir du fort, très fort roman de Jean-Baptiste Del Amo, Règne Animal (Gallimard, 2016)

… elle se retrousse et pisse, jambes écartées, sur le tas de fumier; partout, dans la ferme, aux alentours, les animaux foutent ; avec son sexe tendon de bœuf, il la baise ; dans la soue, à genoux, au milieu des porcs, elle met bas, jette l’avorton gluant ; il agonise dans ses purulences, le lit souillé, un dernier spasme lui tord la bouche, le fossoyeur descend la bière dans la fosse boueuse où les lombrics s’agitent ; le nain aux chicots pourris ouvre sa braguette, en sort sa verge molle qu’il secoue devant la fillette ; elle balance le crucifix dans le pot de chambre, s’accroupit et urine sur le visage du Christ ; le curé aime caresser la nuque de ses petits, dans sa couche, enfiévré, il délire, les aubes blanches se blottissent contre lui, et comblé il expire, l’enfant de chœur préféré est retrouvé quelques jours après, en chemise de nuit, pendu à une branche d’un chêne ; les hommes partent à la guerre, dans les fossés des chevaux renversés, les viscères répandues, ils croisent des chariots de blessés ensanglantés ; les bêtes sont réquisitionnées, transportées au front dans des wagons puants, enfermées dans des enclos aux clôtures de fil barbelé, où elles sont assommées, trépanées, égorgées, saignées, éventrées, dépecées, découpées, les hommes sont couverts de sang, de bile, de tripes, de merde, des milliers de kilos de viande partent chaque jour ravitailler les régiments; dans les tranchées, les mitrailleuses, les obus, les corps ouverts, pulvérisés, les membres, les têtes arrachés, les hommes se terrent, ils rampent dans la boue, au milieu des cadavres qui pourrissent, mangés par les rats; il revient la gueule saccagée, une joue et une mâchoire emportées, un œil vide, la paupière cousue sur l’orbite ; un jour d’été, il prend son fusil de chasse, quitte la ferme sans un mot, marche dans les champs, s’arrête, pose le canon de son arme sous son menton, presse la détente, sa tête explose ; les porcs se ruent sur le grain, se montent les uns sur les autres, hurlent ; les porcs font sans cesse, se vautrent dans leurs déjections, y enfoncent leurs groins; les hommes sont imprégnés de leur odeur de vomissure ; la pupille des porcs, qu’ils gavent, torchent, branlent et abattent, reflète leur visage; le lymphome le bouffe, la fièvre le dévore, sa bouche et sa gorge le brûlent, il suffoque, son corps, décharné, est recouvert d’hématomes, de croûtes, de plaques, jaunes, noires, rouges; l’épidémie s’étend, l’infection se propage, le pus s’écoule des vulves des truies, forme de grandes flaques sur le sol, où gisent les avortons flasques, les porcs crèvent dans leurs excréments, les mouches, les larves, les rats pullulent…