Les choix de Sophie : « La vie est faite de ces toutes petites choses »

Christine Montalbetti © Christine Marcandier

Sophie Quetteville a lu une grande partie des romans de cette rentrée, elle animera un grand nombre de tables rondes avec leurs auteurs. Elle nous livre ses choix et coups de cœur. Chaque fois, un court résumé et un extrait du texte. Aujourd’hui, Christine Montalbetti, La vie est faite de ces toutes petites choses (aux éditions P.O.L.).

Vivre le dernier vol habité de la navette Atlantis et un séjour dans la Station spatiale internationale, ça vous tente ? C’est bien là que Christine Montalbetti propose d’emmener le lecteur, dans le quotidien des astronautes, de ces petites choses qui font la vie quotidienne et que l’impesanteur rend bien différentes. Dès les premières pages, l’écrivain nous prend par la main pour nous faire partager la dernière douche avant le lancement de l’astronaute Sarah Magnus et ainsi de suite jusqu’au retour sur terre. L’humour absolument gracieux du texte rend ce voyage spatial inoubliable.

Extrait : pp. 82-83

Christine Montalbetti, La vie est faite de ces toutes petites choses« Le plus difficile, alors, c’est l’attente.

On fait, du temps, toutes sortes d’expériences. Parfois, l’espace d’une journée vous paraît trop exigu pour tout ce que vous avez à y accomplir, un peu comme le coffre d’une voiture, où vous ne savez comment tout caser. Parfois, à l’inverse, les heures sont de gentilles choses molles, et vous y êtes comme enveloppé(e) d’un édredon, à les laisser simplement passer, à regarder doucement changer la lumière (ah, ce temps élastique et distendu des journées oisives et libres, ce fond confortable et lent auquel vous adossez vos rêveries). Et puis parfois il y a, sur la ligne ordinaire du temps, un événement prévu, à un horaire fixe, auquel il faut faire fac. Ce temps tout serré, inextensible, qui vous sépare du départ d’un train, par exemple, et où d’un coup la forme ample et soyeuse des heures se transforme en un cadre contraint, si bien que vous voilà, essoufflé(e) et inquiet(e), à presser le pas dans les couloirs du métro, votre tempérament indolent (je parle pour moi, du moins) bouleversé devant la violence de cette mathématique implacable qui régit les minutes, transpirant dans votre manteau trop bien fermé, votre sac de voyage trop lourd ballottant contre votre flanc, toutes vos pensées tendues vers cette échéance qu’il ne faut pas rater, car l’heure où votre train démarrera est une réalité qui ne vous appartient pas, et comme le temps est étroit alors et ses arêtes aiguës et ses parois rigides. Au lieu de cette chose souple et accueillante qu’il est capable d’être, brusquement il devient raide et sans appel, et il n’y a plus d’autre solution alors que de s’y plier, de vous soumettre à ce laps minuté qui vous rapproche du coup de sifflet qui fera s’ébranler votre train et que vous ne pouvez pas moduler, de vous débrouiller vaille que vaille de cette mécanique parfaitement extérieure à vous, et qui participe très largement (autant que le léger suspense que provoque toujours un voyage, et la question de ce que vous allez trouver là-bas, ou encore de ce qui va se passer ici en votre absence, de ce qu’il va advenir de votre appartement, dont j’espère vous avez bien fermé l’eau, ou de vos proches et de la façon dont ils vont s’occuper sans vous) des effets anxiogènes des départs.

Pour ce qui est des astronautes, ils vont bientôt faire l’épreuve de ce calcul implacable des secondes, de cette matière autoritaire, immédiatement mesurable, du temps. Mais d’ici là, les deux longues heures malaisées qu’il faut distiller avant le décompte, encore vibrantes des incertitudes induites par la météo, leur paraissent plutôt, à eux qui sont ficelés dans le cockpit et brimés dans leurs mouvements, interminables comme l’abîme dans lequel on se prépare à s’enfonce. Et l’attente est d’autant plus inconfortable que, la navette regardant vers le ciel, vous êtes assis, c’est ça, sur le dos, les cuisses ramenées devant vous, la nuque heureusement soutenue par ce petit coussin blanc confectionné à vos mesures.

Où en est-on dans la salle de lancement ? »

Christine Montalbetti, La vie est faite de ces toutes petites choses, P.O.L, 17 € 50

Sur le site de l’éditeur, Christine Montalbetti parle de son roman :

Christine Montalbetti sera bientôt aux Correspondances de Manosque.