En rebond au grand entretien de Philippe Vilain

Après la parution du grand entretien mené par Johan Faerber avec Philippe Vilain, auteur de La littérature sans idéal (Grasset), la rédaction a reçu plusieurs courriels demandant sinon un droit de suite, du moins la possibilité de réagir aux propos du romancier. Diacritik a choisi le texte de Catherine Serre (auteure et par ailleurs lectrice de Diacritik), qui livre une réplique en forme de partage. Une réflexion à partir des réponses de Philippe Vilain. Un rebond.

« Pas simple de ne garder que le point de vue de la lecture de l’article, de ne pas chercher plus avant et de ne réagir en somme qu’aux réponses qui sont déjà des réactions. C’est pourtant la position d’un lect.eur.rice de revue, il.elle ne va pas à la source de tout ce dont il est fait état car il.elle recherche le travail de décryptage. Pour tenter de voir autrement la situation que Philippe Vilain déplore, dans le cadre qu’il donne, celui de l’édition papier de la littérature aujourd’hui.

Au tout début de l’entretien Philippe Vilain donne le tempo et dresse un portrait anthropomorphique de la littérature. Il dépeint une diablesse : la littérature si elle est obéissante, soumise et sous contrainte c’est qu’elle est fourbe, infidèle et menteuse, son but ultime est de se vendre.

En effet, Philippe Vilain donne à comprendre et à accepter comme une évidence que la littérature s’est égarée sur deux chemins, tout d’abord celui de l’abandon de la primauté du style ensuite celui de l’irrépressible montée de l’amateurisme.

Arrivée à ce point une petite alarme de lectrice se met à sonner.

Il n’y aurait à lire que la littérature putassière prête à tout pour se vendre et celle encore plus vide de l’écrivain auto-proclamé ?

Après un long portrait à charge, la littérature telle que la souhaite et la défend Philippe Vilain est, il est vrai, rapidement évoquée, il prononce même le mot poésie, mais le constat est amer : il ne croise plus nulle part ni l’une ni l’autre.

Et pourtant… Si le style vivait ailleurs ? Ailleurs que dans le mainstream qui a vendu son style au diable et ailleurs que dans l’amateurisme qui se prend pour écrivain.

Je cherchais tout de même dans le fil de l’entretien et espérais y trouver la reconnaissance de l’existence et du travail des « autres » auteurs, ceux qui ne sont ni les vendus d’une littérature qui a perdu son âme ni les promoteurs de leurs anecdotes, ceux qui ont un projet littéraire, une vision de la création, une implication pour une langue qui secoue l’asservissement, un courage tous les jours de vivre pour une littérature riche, exigeante, fruit d’un énorme travail.

Car ils.elles sont là, mais me risquerai-je à mon tour à la polémique ? Ils.elles ont un défaut majeur sans doute : leurs éditeurs ne font pas partie du quarteron et parfois pire ils sont édités en région. Philippe Vilain y fait faiblement écho dans l’entretien. Sans s’y arrêter ni développer. Il faut dire que ces éditeurs se désignent eux-mêmes trop souvent encore sous le nom de « petits », même s’ils se reprennent à propos de cet adjectif et le remplacent par « autres éditeurs », « éditeurs indépendants » ou « éditeurs libres ». Je parle de ceux qui font un vrai travail éditorial, qui financent les livres qu’ils éditent et proposent des contrats en bonne et due forme aux auteurs. Ce sont souvent et principalement des lect.eur.rice.s amoureux des livres et des textes, des personnes généreuses de leur temps, de leur vie, au service d’une littérature forte. Ils sont accessibles, ouverts au dialogue et au service de ceux qu’ils défendent. C’est dans les livres de leurs collections que les styles d’aujourd’hui s’exercent, se côtoient ou se croisent, se cherchent et s’inventent. Il s’y écrit une langue creusée et qui s’interroge. Malheureusement, au fil de l’entretien pas un mot de ces auteur.e.s. qui nous apportent des langues nouvelles, celles qui s’ébrouent du carcan, qui refusent le dictat des poncifs, des cœurs battants et des courses éperdues mais ne diffusent qu’à quelques milliers d’exemplaires au mieux et donc « n’existent pas », pas la moindre allusion, pas la moindre question ou critique à propos de leurs maisons d’édition qui font de l’émergence un travail de mille et une heures, un travail de fond et un engagement politique. Pourtant c’est là que se cachent les styles. Car style ne peut plus rester au singulier.

Mais tout s’explique soudain : il ne s’agit plus dans le cours de l’échange ni de bonne ni de mauvaise littérature mais des mauvais – tout court – ceux.celles qui se trouvent qualifiés d’auteurs contemporains, il ne s’agit pas de la question des auteurs « vivants » au travers de ce terme puisque depuis le début c’est de ceux-là qu’il est question, mais d’êtres hybrides mal définis pire encore que la littérature dévoyée, qui ne travailleraient qu’à incarner leur temps dans une sorte de piaillement au mieux lucratif…

Comme cette vue est restreinte, comme elle est triste et désespérante, comme il y manque ceux et celles qui seront sans doute nommé.e.s maudit.e.s de notre temps. Mais pour les connaître, ceux et celles qui travaillent ailleurs, qui créent leurs styles en presque pure perte de renommée, il faut s’y adonner, les chercher, les lire et les suivre de livres en livres. Reconnaître leur valeur, leur talent et leur nom et écrire à ce propos, relayer, se faire chambre d’écho, et aussi, plus difficile peut-être, créer un mouvement d’entraînement vers cette lecture.

Si je me permets une comparaison il est évident que la musique a su nommer ses styles, peut-être cela lui assure-t-il la reconnaissance possible d’une diversité à travers une multitude de production. On ne reproche pas à un musicien de trouver de nouvelles voies de diffusion. Il est facile en musique de séparer talent et diffusion. Un mouvement inverse est même à l’œuvre, quitter Universal est devenu un titre de gloire. Rien de tel en littérature.

Si le grand éditeur ne vous choisit pas, vous n’êtes rien. Si le grand vous lâche vous devenez moins que rien, si vous gardez le petit, vous n’existez pas.

Et je ne parle pas de celui.celle qui cherche ailleurs que dans la forme romanesque. Les institutions les aident un peu, les festivals et marchés du livres les invitent, ils.elles obtiennent des résidences mais livre après livre ils.elles « n’existent » toujours pas.

Il ne s’agit pas de dire que tout est bon dans cette production (ce serait naïf), mais il est nécessaire de s’y perdre un peu pour y trouver de nouveaux repères, d’y exercer un œil critique qui accepte d’y lire la langue autrement, de détecter ce qu’on n’y cherche pas forcément, la trace ou l’évidence du style ou au contraire ce qu’on y déteste mais y exercer une présence active, à la découverte. Un peu de constance sera bien utile, car l’abandon par oubli serait tout aussi injuste que la découverte par engouement. Il faut suivre les auteurs et leurs évolutions. Devenir fidèle, garder un regard large et s’affranchir des genres.

Enfin, il me semble que c’est à vous les critiques fous de mots d’aller faire de régulières et nombreuses visites dans les catalogues de ces éditeurs – qui parfois ne vous envoient même plus les services de presse sûrs de ne pas être lus et encore moins relayés — de vous mettre à lire ce qui sort de votre ordinaire et dont vous êtes las. Explorez les genres et prenez le risque d’analyser les langues qui y sont à l’œuvre, transmettez vos découvertes, soyez ouverts et accompagnez les auteur.e.s qui créent un style et une langue vibrante en prise avec l’histoire, ce que cherche Philippe Vilain en somme, qu’il pourra y trouver. »

Catherine Serre. Juin 2016.