The Neon Demon : le démon du je

The Neon Demon © Koch Media

Nicolas Winding Refn a du talent ! Beaucoup de talent. On le sait. Son problème c’est que lui aussi le sait et que depuis le coup d’éclat de Drive (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2011), le cinéaste danois se regarde filmer et met beaucoup d’énergie à réaliser des films paresseux. Le générique même renseigne sur le degré d’autosatisfaction du danois, signant son film NWR, comme une marque de vêtement de sport… Si le sigle peut s’expliquer par l’univers superficiel que décrit le film, on ne peut s’empêcher de penser que Lars Von Trier vient de trouver un concurrent au titre du boulard d’or. Le Danemark, patrie des réalisateurs mégalos. Il y a donc quelque chose de très agaçant dans The Neon Demon : il est évident que l’on tient là un des plus beaux attrape-nigauds de l’année, mais, le spectateur ne peut s’empêcher d’être nigaud (deux fois le mot nigaud dans un texte au XXIe siècle, c’était donc possible). The Neon Demon fait partie de ces films entêtants, dont on est sorti assez déçu mais dont on n’arrive pas à se débarrasser. Quelques images baroques restent accrochées à notre esprit dont on ne sait pas trop quoi faire : belle arnaque ou réplique sismique ?

The Neon Demon © Koch Media
The Neon Demon © Koch Media

Le scénario tient en quelques mots : une belle et innocente jeune fille débarque à Los Angeles dans l’espoir de devenir mannequin. Dans ce monde où l’apparence est une religion, elle devient vite l’icône des mâles dirigeants ce royaume. D’autres belles sur le déclin comprennent la menace et la jeune oie blanche finira forcément par se faire manger toute crue.

Le scénario est d’une simplicité qui confine au néant, ce dont Nicolas Winding Refn semble se foutre ostensiblement. The Neon Demon n’est au fond pas tant l’énième déclinaison d’un conte moral où l’ange se brûle les ailes que la tentative de démonstration de force d’un réalisateur, au sommet de sa maitrise visuelle qui voudrait nous prouver que le cinéma a dépassé le scénario pour n’être qu’une suite d’images fascinantes. Neon Demon n’apparaît d’abord comme rien d’autre que la vaine démonstration de puissance d’un cinéaste surdoué mais trop sûr de lui. Si le film est beau, il ne convainc jamais totalement et franchit ouvertement les limites du ridicule. L’esthétique baroque vire vite au grotesque sans que l’on sache trop si c’est de la volonté du réalisateur ou malgré lui.

The Neon Demon © Koch Media
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Néon Démon confirme ainsi les limites déjà évidentes du précédent film du Danois Only God Forgives (2013) : tape à l’œil, confondant le style et la surenchère visuelle. The Neon Demon prétend jouer du contraste entre la beauté (celle des images, celle des actrices) et la violence. Le film aboutit inévitablement à un délire gore qui mettra le cœur des plus sensibles au bord des lèvres (quand il s’agit sur l’écran de vomir d’autres organes). De superbes créatures commettent des actes horribles sous le regard impassible de quelques hommes dont la cruauté est la véritable source de tous les maux. Nul doute que Winding Refn pense avoir réalisé un film féministe. La mode comme métaphore d’une civilisation où la femme n’est plus qu’un corps, pourquoi pas.

La jeune héroïne se trouve pervertie par un monde où elle n’est plus qu’objet de désir. Problème : en réduisant ses personnages à des archétypes, en accordant autant d’importance à la forme et si peu au fond le film menace d’être ce qu’il dénonce. Pourtant, Neon Demon confirme le talent du réalisateur à filmer Los Angeles. Un monde aseptisé, ouaté, une musique électronique d’une autre époque comblant le silence. Les actrices sont parfois filmées à la manière des horribles photographies des magazines de mode des années 80/90. Ce mélange de maitrise formelle et de choix esthétique kitsch est sensé faire baigner le film dans une atmosphère presque fantastique. Elle Fanning incarne la beauté diaphane que semble menacer toute une ville sans que l’on comprenne d’où vient exactement le danger. Des mannequins anorexiques et refaits ressemblent à des robots tout droit sortis d’un clip des années 80. Chaque plan dure jusqu’à ce que le spectateur comprenne que quelque chose cloche dans ce monde trop propre. C’est d’ailleurs l’un des problèmes, le manque absolu de subtilité. Si l’on pense miraculeusement à Mulholland Drive de David Lynch, c’est que Winding Refn échoue parfois à provoquer autre chose qu’un ennui poli devant ses compositions recherchées. Le début du film intrigue, la distance que met le réalisateur vis à vis de ses personnages finit par ennuyer. La grande qualité du film, c’est de donner envie de revoir Mulholland Drive…

Au milieu du film, un délire visuel évoquant le passage d’un monde à un autre, la jeune innocente se transformant alors en arriviste pervertie. Nicolas Winding Refn pensait peut-être à la fin de 2001 Odyssée de l’Espace. En fait de Kubrick c’est surtout au trip sous acide de Jan Kounen dans Blueberry que l’on songera.

The Neon Demon © Koch Media
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Si Neon Demon peut donner cette impression d’un (très) beau gâchis, c’est déjà parce que le réalisateur ne semble jamais s’intéresser à ses personnages et à ses actrices. Certaines ne sont là que pour leur physique dont on ne sait jamais tout à fait s’il est magnifique ou monstrueux, mais on a déjà pu s’assurer du talent d’Elle Fanning et il est regrettable qu’elle soit réduite à un rôle de poupée de porcelaine. Keanu Reeves, d’abord intriguant, disparaît du film assez mystérieusement, sans que l’on ne comprenne jamais l’intérêt de son personnage. Seule Jena Malone s’en sort, inquiétante et perverse, jusqu’à sauver du ridicule une scène de nécrophilie qui se voudrait lynchienne et qui est surtout totalement superflue. Son personnage de maquilleuse au sourire de Kaa est le plus intéressant. Trop jolie pour ne pas être de ce monde d’apparence, pas assez pour être autre chose qu’une maquilleuse. Amoureuse et/ou perverse, elle aurait mérité autre chose que de disparaître elle aussi du film de façon impromptue.

The Neon Demon © Koch Media
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Mais à la grande surprise du spectateur, ce beau ratage produit son effet à retardement. Si l’on peut parfois presque tout oublier d’un film que l’on a aimé à peine quelques heures après sa projection, il y a des œuvres ratées que l’on n’évacue pas facilement. On ne se débarrasse pas comme ça de ce démon-là. Son esthétique baroque est à la fois ridicule et efficace. Elle Fanning sur le plongeoir d’une piscine vide, murmurant « Je suis dangereuse » dans la nuit californienne. Une bande son très soignée qui fait du silence un danger permanent, ces hommes qui ressemblent à des monstres infiltrés parmi les humains, une jeune femme crachant un œil et du sang, une panthère dans la chambre d’un hôtel miteux. Los Angeles menaçant. Les images marquantes, séquences hallucinantes se multiplient. Le film de Nicolas Winding Refn ressemble à une minuscule secousse sismique dont les répliques tardives font plus de dégâts que prévus. Creux, désincarné, tape à l’œil : fond et forme se rejoignent. The Neon Demon est une belle arnaque, une très très belle arnaque. Œuvre mégalomaniaque, peinture aux couleurs criardes à la gloire de son auteur, film inoubliable aussi. Un ratage brillant, grotesque comme les initiales NWR en guise de signature, entêtant comme le sourire pervers de Jena Malone.


The Neon Demon
– États-Unis – 1h57 – Un film réalisé par Nicolas Winding Refn – Scénario de Nicolas Winding Refn, Mary Laws et Polly Stenham – Directeur de la photographie : Nastasha Braier – Montage : Matthew Newman – Avec Elle Fanning, Jena Malone, Bella Heathcote, Abbey Lee, Keanu Reeves, Karl Glusman. En salles le 8 juin 2016

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