Je reviens ! vous êtes devenus (trop) cons

© éditions du Seuil

A vant la diffusion d’un documentaire que Paris Première diffusera le mardi 17 mai à 22h35, les éditions Cherche Midi / Le Seuil font paraître aujourd’hui un panégyrique haut en couleurs fait de textes et d’images inédites présentés par Fabrice Gardel et sobrement intitulé Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons.

Du Yanne inédit, du Jean dans son jus qui fait dire au lecteur alternativement (nul besoin de rayer la mention inutile) 1/ Yean Yanne nous manque, 2/ On est vraiment devenus trop cons, 3/ « C’est le rôle des humoristes de faire remarquer ce que les gens ne voient pas d’eux-mêmes ».

En 264 pages de textes et photographies, en empilant les sketches, interviews, témoignages, mots de l’auteur, paroles de chansons et autres pépites exhumées du passé, Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons raconte par le menu l’inénarrable anar, le journaliste, le pamphlétaire, l’acteur, l’auteur (pour Siné avec J’y va-t-y j’y Vatican puis Ça fait des bulles), le comédien et producteur, l’homme de radio et de télé, au long de cinq chapitres puisant dans la mémoire de l’ORTF et de l’INA réunis.

Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons revient sur la télévision de papa et les émissions diffusées par ondes radiophoniques et égraine les noms des figures libres qui ont fait les belles heures des programmes mythiques de l’époque tels 1=3 (avec le compère et complice Jacques Martin). Les amis s’appellent Gérard Sire, Paul Mercey, Daniel Prévost, Pierre Dac, Jean Poiret, Francis Blanche, Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault ; touche-à-tout de génie, les collaborations se lisent, se regardent et s’écrivent avec Tito Topin (et une bande dessinée culte, La Langouste ne passera pas, chez Casterman), Claude Chabrol, Maurice Pialat, Claude Lelouch, Georges Lautner…

Certes, en sériant Je reviens ! en cinq parties a priori distinctes (les Français, les institutions, la consommation, les femmes et le « chobizenesse »), Fabrice Gardel n’évite que de très peu la répétition des mêmes morceaux de bravoure, ce qui fait (un peu) la faiblesse du recueil par endroits. Mais c’est parce que les obsessions de l’homo Yannicus étaient nombreuses et récurrentes et que lui-même se définissait comme un Français moyen que la charge est d’autant plus belle contre ce Français qui consomme, subit ou vénère les institutions, aime (ou pas) les femmes et se verrait bien en vedette américaine.

A l’inverse, l’anti-chronologie du livre esquive l’écueil d’une (re)lecture compassée  et rectiligne de l’univers foutraque de Jean Yanne. Lui qui a si souvent pris des chemins de traverse − qu’il s’agisse de cinéma, de musique, d’émissions de télé − pour se faire tour à tour trublion, libre penseur, pourfendeur de la bêtise humaine ou conteur jusqu’à la satire du quotidien franchouillard (l’intelligentsia et l’homme de la rue en ont pris pour leur grade à parts égales), Jean Yanne se trouve ici justement remis à sa place par Fabrice Gardel : nulle part et partout à la fois. Qu’il s’agisse de l’observation pour en rire du mode de vie des français ou de la critique acerbe de la censure, de la bien-pensance et du démontage en règle de l’ordre établi, Jean Yanne a excellé dans l’art de détourner, contrer, parodier. Au grand dam de ceux qui en ont fait les frais. Lui-même au premier chef.

Car Jean Yanne est de ceux dont on dit qu’ils ont brûlé la vie par les deux bouts et l’on découvre avec Je reviens! la complexité du personnage et les failles de l’homme : l’argent, les femmes, la famille, la paternité, les paradoxes d’un être cultivé et autodidacte, les ambiguïtés du libertaire, la mélancolie du clown blanc (qu’il fut sûrement) côtoyant de très près l’image de râleur patenté (qu’il s’est amusé à construire au fil du temps).

Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons dresse le portrait d’un homme, d’un personnage, d’un immense artiste. Et en creux, celui d’une société et d’une époque révolus : quand on brocardait sous contrôle du Ministère de l’Information tout en jouissant d’une liberté absolue. Aujourd’hui, la censure n’existe plus, mais est-on plus libre pour autant ? Jean Yanne (ou du moins le sous-titre du livre de Fabrice Gardel) aurait-il raison ?

Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons (Jean Yanne inédit), textes présentés par Fabrice Gardel, postface de Jean-Christophe Yanne, coédition Le Seuil / Le Cherche Midi, 280 p., 18 €