Programmes courges : shortcoms

Hélène et les garçons

A l’instar d’Hélène et les Garçons qui pour Fabrice Luchini était « du Rohmer réussi », on mésestime trop souvent ces joyaux d’humour brut et lapidaire que sont les shortcoms hexagonales qui sévissent sur les chaines françaises à l’heure du dîner et de l’arrêt de la publicité sur le service public et se livrent une concurrence féroce sur le créneau du rire bienvenu après une dure journée de labeur.

COL_616009Comment ne pas parler de Scènes de ménages sur M6, Parents, mode d’emploi sur France 2 et bien évidemment Nos chers voisins (pastilles audiovisuelles, fleurons de la créativité made in France) sur la première chaîne sans y voir une symbologie évidente, métaphore télévisuelle indissociable de notre époque ? Parce que la brièveté, la vis comica résolument ancrée dans le temps présent et le jeu millimétré des acteurs sont autant de colonnes vertébrales sur lesquelles reposent ces programmes, il faut rendre grâce aux scénaristes et aux diffuseurs d’avoir mis à l’antenne ces tranches de vies à vocation fédératrice.
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Pensez-donc : quoi de mieux pour soulever les vraies questions sociétales que de faire (et laisser) parler des voisins, des parents, des couples sans que ça tourne à la logorrhée, voire à la leçon de vie ?

Les trois ont en commun d’avoir su réaliser la synthèse de l’efficacité et de la finesse, tout en osant parler des vrais sujets – jusque-là timidement réservés au bien trop seul Plus belle la vie sur France 3. Ainsi, on remarquera que de la douloureuse question des loyers impayés à celle de la jouissance féminine chez la FRDA en passant par l’épineux problème de l’orientation scolaire en milieu périurbain, rien n’est laissé en chemin. Les scénaristes ont réussi le tour de force d’être à la fois rassembleurs et œcuméniques, politiquement incorrects et sociologiquement pointus. A se demander parfois si les communicants professionnels – voire la classe politique tout entière – ne devraient pas s’en inspirer pour mieux appréhender les aspirations des Françaises et des Français, ce que les publicitaires en charge de la communication d’une grande banque qui avait les moyens de s’adjoindre les services de Gad Elmaleh ont déjà parfaitement compris.

Sans nul doute, Parents, mode d’emploi – saluons au passage le courage du producteur qui a osé placer le terme « emploi » dans un titre de série à l’heure du chômage de masse –, Scènes de ménages – qui possède une dimension durassienne évidente (le tournage a lieu en décors réels à Lons-Le-Saulnier) – et Nos chers voisins, sont devenus incontournables et sont bien trop souvent pointés du doigt pour de mauvaises raisons. Le sempiternel, bobo, parisianiste et sentencieux «c’est pas drôle, et pis c’est tout» en tête.7f6393_5d2640e976a2485eb70fb779b8eb0c2f.jpg_srz_616_411_85_22_0.50_1.20_0.00_jpg_srz

D’autant que si l’on s’en tient à ce raisonnement, Les Guignols version Bolloré (et même bien avant l’arrivée du capitaine d’industrie à la barre de la chaîne cryptée, NDLR), seraient du François Ozon qui aurait fait appel aux showrunners de Soda pour si bien capter et si justement restituer la substantifique essence de l’esprit rabelaisien chère à notre beau pays.

Qu’on se le dise, l’humour n’est pas mort, les programmes courts sont en vie, et leur vocation artistique intrinsèquement nietzschéenne et éclairante. Comme le disait le regretté Jean-Baptiste Botul dans La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant, « d’où viens-je ? où cours-je ? Et à quel étage erre-je ? »

Nos chers voisins (TF1), Parents, mode d’emploi (France 2), Scènes de ménages, M6, tous les soirs à la télé française, environ vers la fin du repas, mais parfois ça dépend, ça coinçait sur le périph’. Crédits photos M6, TF1