Entretien avec François Moreau Martinez : L’Alpine (éd. Denise Labouche)

François Moreau Martinez (DR © éditions Denise Labouche)

Hiver 2016. Les jeunes Éditions Denise Labouche, maison parisienne fondée par un collectif d’auteurs-éditeurs éclectiques et aventureux publient L’Alpine le premier roman du journaliste François Moreau Martinez. Foisonnant, bourré de clins d’œil ancrés sur un socle classique rigoureux et un sens du rythme très jazzy, ce roman résolument pop apporte une touche beat dans le paysage de la littérature contemporaine française.
Rencontre avec un écrivain sans prétentions dont le cerveau abrite une belle famille de références et d’inspirations.

François Moreau Martinez, vous publiez la votre premier roman. Quel est votre ressenti sur ce texte ?

COuv AlpineJe suis très fier de ce texte, même s’il est très certainement imparfait. Je me suis enfermé deux semaines l’été dernier dans une maison de campagne sur les bords de Loire, et j’ai écrit les deux premières parties d’une traite. La dernière partie a été terminée fin novembre. Je l’ai relu récemment et je pense qu’il est profondément optimiste, alors qu’il a été rédigé à une période particulièrement compliquée de ma vie et de la vie de beaucoup d’entre nous. Je crois que c’est un texte assez drôle, au final, mais résolument affecté par son époque.

Parlez-nous un peu de l’histoire, sans spoil

couv-fanmanL’Alpine, c’est l’histoire d’un écrivain outsider invité à participer à une grande fête organisée par un book club prestigieux dans la maison du collectionneur français Louis Carré, à Bazoches-s/Guyonne, dans les Yvelines. Arrivé sur place, il se rendra compte que ce fameux club de lecture n’est pas ce qu’il prétend être… Sans spoil, je dirais que c’est un mélange entre Pulp de Bukowski, le film Space is The Place du jazzman Sun Ra et Fan Man de William Kotzwinkle.

Qu’est-ce qui vous a inspiré ? Les films, livres, musique, votre univers de création ?

Je suis surtout inspiré par des images, une atmosphère, des mythes contemporains… Je ne suis pas attaché au médium, mais plutôt à la tentative d’expression artistique de l’œuvre, qu’il s’agisse d’un livre, d’une photographie ou d’une partition. Je voulais que L’Alpine ait une vraie force évocatrice : qu’un peintre puisse y voir un tableau, un cinéaste un plan et un chorégraphe un geste. Je voulais aussi que ce livre puisse être lu d’une traite, sans temps mort. Capote disait en parlant du style de Kerouac : « That’s not writing, that’s typing ». Il paraît que dans sa bouche cette phrase était péjorative. Je voulais que le lecteur retienne son souffle et entende le claquement des touches d’une machine à écrire à chaque ligne. Je parle de jazz dans ce livre, et qu’est-ce que le jazz sinon du souffle et un rythme ?

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire, tout court ?

ovni-et-extra-terrestres-en-4-tomes-de-yves-naud-929326443_LLes livres. Je veux dire, l’objet livre. J’ai grandi dans une maison remplie de livres ; notre bibliothèque était gigantesque et on y trouvait de tout, en reliure cuire et tout. Je me rappelle cette collection de bouquins en quatre tomes écrits par Yves Naud, OVNI et extra-terrestres. J’ai pas tout lu quand j’étais un kid, mais j’en ai lu un bon paquet. J’ai toujours beaucoup écrit aussi. Quand j’étais au collège, j’ai rédigé un petit roman mettant en scène un jeune skateur qui découvre qu’il a le pouvoir de sauver le monde avec sa planche.

Vous éclairez, avec votre roman, un de mes grands questionnements : qu’est-ce que ce rail dans les champs qu’on voit en train en allant vers Paris. Pourquoi avoir intégré le monorail de Bertin ?

Quand je rentre voir ma famille du côté de Tours, le TER longe l’ancienne voie d’essai de l’Aérotrain de Jean Bertin. Maintenant, ce n’est qu’une vieille voie en béton rongée par la végétation, mais au début des années 70, elle était le symbole des rêves de modernité de l’époque. Dans l’imaginaire collectif, les monorails ont toujours évoqué une certaine idée du futur : dans toutes les histoires de science-fiction que je pouvais lire dans les vieilles bandes-dessinées de mon frère, il y avait un monorail. Il s’agit d’un gimmick récurrent dans les récits rétrofuturistes. En voyant ce vestige des rêves de modernité d’un temps révolu souillé par les slogans de la Manif pour tous, je me suis dit que le paradoxe était trop grand pour ne pas être exploité dans un livre qui se donnait pour but de remettre au goût du jour des utopies un peu naïves.

Goldo et Tarantino, OVNI et déserteurs… Vous jouez beaucoup sur les paradoxes et les uchronies, pourquoi ce choix ?

Les frontières entre la culture classique et la culture populaire, l’underground et le mainstream ont volé en éclat depuis un bail. Quand tu es né comme moi dans la deuxième partie des années 80, tu as grandi avec les vieilleries de ton frangin comme Albator, Goldorak, Godard, Lester Bangs, H.S.T, Bukowski, Crumb mais aussi avec les objets cultes de ton époque, comme X-Files, Tarantino, Houellebecq, Bret Easton Ellis, Kanye West, Daft Punk et la fin de la conscription… Je ne crois pas qu’il y ait de paradoxe dans L’Alpine, disons simplement que c’est autant le bordel dans ma tête que dans les rayons de ma bibliothèque ou de mon Ipod. Je pense qu’en 2016, tu peux faire référence à James Dean, Ty Segall, John Carpenter, Flaubert et François Truffaut sans faire sourciller le lecteur. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais c’est un fait.

Quant aux uchronies, je crois que je voulais juste créer un univers propre au livre, quelque part dans un espace temps parallèle au notre. Mais qui resterait malgré tout très familier et très contemporain.

Philip K. Dick a dit que la réalité était une question de point de vue. Pensez-vous que la modernité le soit également ?

Einstein disait aussi que la réalité est une illusion persistante. Je lisais l’autre jour un essai de Bruno Latour appelé Nous n’avons jamais été modernes, alors va savoir. J’imagine que tout cela va dans le sens de la phrase de K. Dick.

On employait beaucoup ce mot dans les années 80 « moderne ». Ce serait quoi être moderne aujourd’hui ? Peut-on d’ailleurs encore l’être?

Pour être franc, quand je parle de modernité, ce n’est que de façon très naïve. Pour évoquer une époque qui, vue de 2016, semblait animée par bon nombre d’utopies. La perspective de voir un jour l’an 2000 était une source intarissable de fantasmes, les voitures volantes, tout ça… Aujourd’hui, on parle beaucoup de post-modernité et de désenchantement, je pense juste qu’une époque est moderne à partir du moment où celle-ci arrive encore à produire des rêves et des utopies.

Êtes-vous en train de travailler sur quelque chose d’autre ? Dans quel univers ?

J’ai revu Les Tricheurs, de Marcel Carné récemment. Je me suis également replongé dans The Class of ’49 de Don Carpenter, Black Hole, de Charles Burns et The Informers, de Bret Easton Ellis. J’ai une idée derrière la tête depuis quelque temps, quelque chose qui devrait se dérouler à Paris entre 2009 et 2015, sur un groupe de jeunes. Je pense aussi écrire un court texte sur un récent voyage aux États-Unis que j’ai fait.

Et pour finir, vous êtes plutôt bière ou plutôt chartreuse ?

Chartreuse, définitivement. Comme dirait Tarantino dans Death Proof : « Is that a tasty beverage or is that a tasty beverage. »


François Moreau Martinez, L’Alpine, Éditions Denise Labouche, 8 €
— livre à commander via le Big Cartel des Editions Denise Labouche