The Revenant : « Le plus sauvage d’entre tous »

© Twentieth Century Fox France

Il est réconfortant de se rappeler que le système hollywoodien sait produire autre chose que des films pour ados, des adaptations de comics ou des poursuites en bagnoles (si possible avec des filles en short qui applaudissent). Déjà oscarisé pour Birdman, Alejandro Gonzalez Iñarritu est devenu l’un des meilleurs représentants d’un cinéma d’auteur commercial mais ambitieux, profondément ancré dans une tradition cinématographique.

Il épouse ainsi le parcours d’acteur de Leonardo DiCaprio, qui a renoncé il y a bien longtemps à accumuler les blockbusters pour devenir l’un des acteurs américains les plus doués et les plus surprenants. Le réalisateur et l’acteur nous rappellent le nouvel Hollywood, quand ce cinéma disposait de moyens importants pour s’adresser aux adultes et produire des films susceptibles de laisser une trace dans l’histoire du cinéma. The Revenant est de ce calibre-là, portant en lui l’ambition des films d’Arthur Penn (on songe bien sûr à Little big Man) mais en y ajoutant une beauté plastique qui rappelle les meilleurs films de Terence Mallick. The Revenant est d’ailleurs bien plus proche d’un film comme la Ligne Rouge que pourrait le laisser supposer son idée de base : dans une Amérique sauvage qui n’est même pas encore celle des cowboys mais encore celle des pionniers et des trappeurs, un éclaireur, Glass, laissé pour mort dans une forêt du grand nord, ressuscite et ne pense qu’à se venger. La vengeance a toujours nourri les plus beaux westerns et il est incontestable que The Revenant en est un, magnifique d’ailleurs.

© Twentieth Century Fox France
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Pourtant ce qui semble intéresser Iñarritu, ce n’est pas tant le western que le rapport entre l’homme et la nature. Comme dans les films de Terence Mallick, la nature est le véritable objet du film : sauvage, meurtrière, sublime. Indiens et trappeurs tentent d’y survivre, les premiers mieux que les nouveaux venus d’ailleurs. Mais le film nous épargne le couplet sur les Indiens pleins de sagesse, ici ils sont redoutables, aussi redoutables et impitoyables que la forêt. Pas de bon sauvage qui servirait une fable écolo. Le film rend justice aux Indiens comme à la forêt : ni bons, ni méchants.

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Si le film s’ouvre sur la très violente séquence d’Indiens attaquant un petit groupe de trappeurs, le réalisateur passe dans le même plan, du point de vue des trappeurs à celui des Indiens. Le massacre s’explique : comme un héros de La Captive du désert, le chef indien cherche sa fille, survivante d’un massacre commis par les blancs mais kidnappée… Blancs, Indiens : tous se livreront aux actes les plus sauvages. Tout le monde a ses raisons, tous sont animés par une quête, y compris le « salaud » de l’histoire, interprété par Tom Hardy : partir au Texas, lui aussi est prêt à tout pour accomplir son rêve américain. A la violence des hommes répond celle de la nature (l’attaque de l’ours, d’ores et déjà un classique).

The Revenant n’est donc pas l’histoire d’un homme luttant contre les éléments, mais le récit d’une symbiose totale que l’arrivée des pionniers menace de détruire… Le film se situe juste avant la fin de ce monde, juste avant que la conquête de l’ouest ait raison de la civilisation indienne et soumette la nature. Leur sauvagerie a un moteur : le commerce. L’appât du gain semble les faire retourner à l’état de nature, tandis qu’à l’instant où Glass agit comme un être civilisé, ce sont les mots d’un Pawnee qui l’inspirent. Le film n’est pourtant pas un plaidoyer pour les Indiens comme l’était Le Nouveau monde de Mallick (encore). Si en filigrane se dessine la destruction d’un peuple, c’est qu’à travers lui c’est tout l’écosystème, dont font partie les hommes, qui est menacé. Les souffrances de Glass seraient ainsi une façon pour lui de payer un péché originel, dont la mort de l’élan au début du film serait le symbole. Glass rêve d’église détruite, multiplie les résurrections, sauve une jeune indienne : Leo DiCaprio incarnerait une figure christique, quasi muette mais qui endure toutes les souffrances physiques et morales possibles, alors que l’homme « civilisé » se livre aux massacres, par ignorance et cupidité. Le cinéaste multiplie ainsi les plans de la terre vers le ciel, auxquels répondent ceux du ciel vers la terre, écrasant l’homme de sa toute-puissance. On sait le réalisateur obsédé par la spiritualité, parfois à l’excès comme dans 21 grammes. Héritier de Scorsese, il crée un monde ultra violent où la rédemption se fait par le sang.

Si l’on peut penser à Chateaubriand et aux Natchez, le panthéisme chez Alejandro Iñarritu n’est pas une douce spiritualité. Ni bienveillante, ni réconfortante, la nature est impitoyable avec les bons comme avec les méchants. Elle n’est pas non plus hostile, on l’a dit, simplement elle est. Elle ramène l’homme à ce qu’il est véritablement, un animal sauvage. Souvent dangereux : les hommes se croisent rarement dans ces immenses territoires, les rencontres sont la plupart du temps brutales, mais imprévisibles : Glass rencontre un pawnee dont la famille a été massacrée… par les sioux, exactement comme la femme de Glass le fut par les soldats blancs, le spectateur qui cherchera une alternative à la sauvagerie dans une supposée sagesse indienne passera son chemin : impitoyables les Indiens, impitoyables les blancs, impitoyable la nature. Les paysages neigeux sont splendides et se couvrent de sang, les enfants meurent, les femmes sont assassinées ou violées, les hommes s’entretuent, des bisons se font dévorer par des loups. Parfois, des élans traversent une rivière, on rêve d’une comète qui s’écraserait sur terre. Un geste d’homme civilisé semble racheter, très momentanément, l’espèce humaine. Dans le grand nord, tout cela à l’air anodin. L’élan, l’enfant, les bisons, les bons et les salauds : tout cela finira par nourrir la terre… Et parfois un homme ressuscite.

The Revenant : Un film réalisé par Alejandro Gonzalez Iñarritu – Scénario de Mark L. Smith et Alejandro G. Iñarritu, d’après le roman de Michael Punke – Directeur de la photographie : Emmanuel Lubezki – Montage Stephen Mirrione – Musique : Ryuichi Sakamoto – avec : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter, Domnhall Gleeson, Forrest Goodluck, Duane Howard.

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