Roman photo video, il s’appelle Jeune Fleur

Jeune Fleur © Olivier Steiner

Vendredi 22 janvier 2016, 7h34, je me lève et j’écris, une nouvelle page de journal comme je faisais le Passeport, il y a longtemps, pendant les vacances, quand j’étais petit. Bonheur d’écrire pour écrire, de me donner des nouvelles, écriture courante, drôle sentiment de plénitude en ce moment. Ça va faire plus d’un mois que je suis dans ces Hautes-Pyrénées natales, Tarbes, au début je ne devais y rester que quatre jours. Ça se prolonge, je n’ai rien décidé, impression d’être là où je dois être, je reste. Passer et flotter dans la vie comme un bouchon de liège sur un fleuve.

Il fait beau depuis plusieurs jours, je me suis fait des amis, Damien le turbulent, London le manouche, Anthony le barbu qui embrasse comme un Dieu. Il fait doux depuis plusieurs jours. Il y a Léandre, aussi, à Pau, pas loin. Il y a mes parents que désormais je regarde comme des personnes étrangères, je veux dire des personnes autonomes, c’est bien, je ne veux plus les changer, c’est bien, ils ne changeront jamais, ce sont des gens bien après tout, sont pas méchants même si sont chiants parfois, ça s’apaise.

J’aurai quarante dans quelques jours, exactement 40 ans le 15 février. J’ai donc été Jérôme Léon pendant 20 ans, et Olivier Steiner pendant 20 ans également. Les deux sont ex-aequo, ils se regardent et se considèrent, allez, une trêve ? Il est peut-être temps de faire la paix ? Allez, on se serre la main. Pour ce faire je me suis fait un tatouage sur la main gauche : JLOS. Et puis INRI sur la droite, le titulus crucis. Mégalo ? J’en sais rien. Le fait est que j’ai un truc avec Jésus, depuis longtemps, rien à voir avec les curés et les bénitiers, c’est juste que j’aime ce mec, vraiment, ce mec-concept, il me fascine. Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdæorvm : Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. Bien sûr qu’il a existé, impossible d’inventer une telle histoire.

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© Olivier Steiner
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© Olivier Steiner

Mon corps change, des cernes, quelques cheveux blancs, la peau du ventre de moins en moins ferme. Je regarde cela comme un fait s’accomplissant, un travail dans le sens où le bois lui aussi travaille. Sur Grindr, Hornet, Coco et ailleurs, les mignons de 22-23 ans, frais et impertinents, fougueux, tout minces, pour rien au monde je ne voudrais de leur âge à nouveau. Je regarde leur innocence que je n’ai plus et que je ne regrette pas une seconde. Je leur souris comme je souris à Thierry et Mohamed et Samuel qu’il me tarde de voir – revoir à Paris, en février.

Hier soir à la télé sur France 2, passionnant débat Finkielkraut / Cohn-Bendit. Au début je me suis dit Enfin le service public retrouve son sens premier. Mais, petit à petit, dégoût du spectacle et lassitude de la mise en scène : les tweet à la con qui s’affichent en direct en permanence, pollution des petites opinions des gens, à chaud, le manque de recul présenté comme le summum de la modernité. Connerie démago. Et puis cette fille dans le public à qui l’on donne le micro, son quart d’heure de gloire, elle est mignonne et d’origine maghrébine, elle ne comprend rien et elle en est fière, elle insulte Finkielkraut qui est accablé, il faudrait toute une vie pour répondre. Je repense à ce débat sur Antigone, au siècle dernier, Georges Steiner versus Pierre Boutang, à l’époque manquaient les tweet, les sondages en direct, la démocratie participative, les interventions du public, ça manquait vraiment ? Bon, stop, je parle comme un vieux, le vieux qui dit qu’avant c’était mieux. De toute façon, avant c’était quand ?

Il s’appelle Jeune Fleur, c’est lui mon sujet, je ne voudrais vous parler que de Jeune Fleur. Tenez, c’est lui, voici sa photo, je l’ai prise à la Fiac, Jeune est un garçon et rien qu’un garçon. Regardez, il existe :

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Jeune Fleur © Olivier Steiner

Il y quelque chose que j’ai peut-être compris sur l’écriture. Il y a trois états de conscience : le sommeil, l’éveil et l’écriture qui n’est ni sommeil ni éveil, entre les deux, antre.

J’adore m’endormir, glisser. Je m’endors facilement. J’ai un plaisir vicieux dans l’endormissement. Avant j’allais même jusqu’à mettre mon réveil plusieurs fois dans la nuit, juste pour le plaisir de me rendormir, plusieurs fois dans une même nuit, encore. Ah, tiens, avant d’oublier, remercier Yorick pour ses mots dans son dernier texte, Meaulnes et les groupies. Ça dialogue sur Diacritik, ça fait plusieurs jours que je cherche une réponse intelligente. La voici :

« La véritable histoire d’amour n’est pas avec Nicolas Pages mais avec Nelson, dont je parlais dans Plus fort que moi. Nelson m’a été imposé par la vie. Mais ce n’était pas mon rêve. Je rêvais d’être marié avec quelqu’un de plus fashion, comme Nicolas Pages. J’ai toujours voulu être avec une blonde sur qui tout le monde bave. Mais Nelson s’est trouvé là pour m’apprendre une chose fondamentale : que les sentiments, c’est énorme. Ce n’est pas quelque chose qu’on dit beaucoup. C’est le grand truc de Duras. C’est pour ça qu’elle est l’objet d’un culte. Et qu’on la ridiculise tant. Moi qui aie été totalement désespéré, je trouve que le plus important dans la vie, c’est le renforcement des liens sentimentaux. C’est ce que j’attends de la vie maintenant : que ça devienne de plus en plus puissamment amoureux. » Guillaume Dustan

Retour à Jeune, je reviens à Jeune.

Jeune Fleur est un petit hétéro de 21 ans, il est grand. Il m’a écrit cet été parce qu’il venait de lire La vie privée. Voilà, il n’était pas là puis d’un coup il fut là. Il m’écrivait et il signait Jeune, au début j’ai cru que c’était un fake, trop beau pour être vrai. En plus j’allais mal, dépressif, en clinique, j’allais mal et me sentais au bout du rouleau. L’histoire ? D’un coup la vie m’écrivait des mails et des messages privés Facebook, je répondais, au début méfiant et incrédule, puis de moins en moins. Jeune au mois d’août fut comme une bouée de sauvetage, je me suis accroché et il m’a hissé, m’a permis me flotter dans les vagues noires :

Il écrit très bien, le bougre, il sait capter la vie qui passe, il y a une voix dans ce qu’il écrit, sans maniérisme, sans pose, le genre de truc qui ne s’apprend pas, nulle part. Je n’attends rien mais Jeune a relancé mon désir. Je n’attends rien car il n’est personne, Jeune, vous voyez, il est tous les garçons, les fils, les petits frères, jeunes pères, ceux qui aiment et qui prennent le train. Je crois de moins en moins en l’homosexualité, je crois de plus en plus en la fraternité, je veux dire en sa possibilité. Allez, « fraternisons tout nu« , poke Christophe Honoré.

Jeune, je lui conseille des choses et il lit aussitôt, j’ai commencé par Rilke et Koltès. Je lui ai parlé de Larry Clark, Guibert, Le Mausolée des Amants, Nan Goldin, Chéreau, ce n’est qu’un début. Je lui ai envoyé un lien de téléchargement pour L’homme blessé, il l’a regardé sur son ordi.« Olivier, j’ai beaucoup aimé le film. C’est un film qui va me marquer. J’ai trouvé le personnage d’Henri dérangeant, par sa faiblesse et sa folie. Ou alors peut-être qu’il est fort justement. Il est amoureux, c’est tout. Il y a une scène que j’ai particulièrement aimée, c’est celle où il cherche partout Jean dans la gare, et qu’il tombe sur les garçons qui traînent là. Il en aborde un et il lui raconte n’importe quoi, qu’il fait très bien l’amour, il s’invente. Le garçon en question est magnifique, et j’aime bien comment il est habillé, avec son imper et sa chemise ouverte. Après ils cherchent un endroit tranquille dans la gare puis ils finissent par s’embrasser dans un tunnel rempli de clodos. C’est génial. On ne sait pas s’ils se veulent vraiment ou si c’est l’argent qui les fait se vouloir. Vous savez trop bien que j’aime quand on ne sait pas. Un beau film sur l’amour, merci. Jeune. »

Jeune est arrivé dans ma vie comme un bonheur et un tourment, in extremis, envoyé je me dis pour continuer la vie et prolonger la sienne. Jeune apparaît comme une réponse, comme si les sources d’amour existaient toujours, comme si elles s’étaient seulement cachées pendant quelques mois, les sombres mois de 2015. Est-ce que je vais coucher avec Jeune ? Le sexe n’est pas le sujet, ce n’est plus le sujet. La jouissance désormais c’est se rapprocher du corps des personnes géniales. Les personnes géniales = les personnes vraiment vivantes.

Jeune se drogue un peu, beaucoup, ça dépend des soirs, la coke, l’alcool, d’autres trucs dont je ne connais même pas les noms. Aujourd’hui ils commandent la came sur le deep web et ils cryptent leurs messages, j’apprends, j’écoute, ils connaissent internet comme leur poche, je les admire. Jeune écoute de la musique électro, il m’a parlé d’un festival à Munich, il dit qu’il faudra qu’on y aille ensemble. Ok, j’attends.

Ça, c’est Jeune Fleur quand il était petit, vous voyez le problème ?

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Jeune France (© Olivier Steiner)

Et ça c’est moi quand j’étais petit, vous voyez le problème ?

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© Olivier Steiner

Jeune n’aime pas trop la techno-trance, il a besoin lui aussi que la vie soit plus que la vie, comme moi il cherche les montagnes russes. Il travaille beaucoup malgré la fête, il lit et il compose de la musique, fait de la photo, vient d’Orléans, il est en Philo à la Sorbonne, ne jure que par la phénoménologie, il n’est pas un feignant dilettante, comme j’ai pu l’être à son âge. Ça, c’est le genre de musique sur laquelle il travaille, en musique il s’appelle Jeune Faune :

J’aime ces moments de trouble et de flottement, on s’apprivoise, on se fait gentiment la cour, la courte échelle. C’est la première fois que je ressens une sorte d’amour paternel, j’ai envie de le protéger, de lui donner des choses, tout ce qu’il voudra, gratuitement. Par moments je délire et j’enjolive, je me demande si Jeune c’est pas Chéreau par-delà la mort, Patrice qui revient avec malice, qui tenterait de me parler autrement, sous un visage Jeune. Il aimait bien faire des blagues et des surprises, Patrice. C’est troublant, depuis le début Jeune tape à chaque fois là où il faut avec moi, comme s’il me connaissait très bien, comme s’il m’avait deviné, savait les points faibles, les points forts. Nous sommes étrangement connectés. Il se raconte, je l’écoute.

Mais étrangement je garde les pieds sur terre. Pas de prédation entre nous. Je suis le plus vieux désormais, c’est moi qui dois donner et transmettre, en douceur avec patience, sans rien attendre en retour. Jeune est là pour recevoir, ça durera le temps qu’il voudra puis il ira voir ailleurs, quand j’aurai donné tout ce que j’ai, quand il en aura marre. Ce sera bien.

Jeune est un mirage très précis, il est jeune et il a cent ans. Il a déjà compris, il sait tout, ce qu’il ne sait pas encore c’est qu’il va passer le reste de sa vie à oublier qu’il savait déjà tout depuis le début. Ça, je peux lui dire mais je ne peux pas lui apprendre, il faut du temps pour comprendre cela. Je crois que je l’aime, déjà, bien sûr, à pas feutrés. J’ai de l’amour pour Jeune, un amour comme toutes les amours naissantes, qui va vers vous, à travers moi, à travers le manque, de vous, de moi. Tant pis si Jeune ne m’aime pas en retour, s’il a une ou plusieurs idées derrière la tête, s’il veut se servir de moi comme moi j’ai pu me servir des autres avant sans le vouloir en le voulant. Qu’il se serve, je suis là pour ça, je donne tout, ne conserve rien : Open bar I am, happy hour. Thésauriser, compter, calculer, économiser ? Je n’ai jamais compris l’intérêt. Comment vivre sans inconnu devant soi ?

Là toute de suite, la seule chose que je sache c’est qu’un autre jour, demain, il sera temps de prendre soin de chaque phrase.