Joyce Carol Oates : de la boxe

Youpi, Paris © Jean-Philippe Cazier

Hemingway rêvait d’un concours du meilleur écrivain disputé aux poings. Le championnat n’est toujours pas répertorié dans les disciplines olympiques, pourtant Norman Mailer aspirait au titre de « champion (du monde) d’écriture ». Parmi les poids lourds de la discipline (pour son œuvre majeure, pas pour son gabarit physique…) : Joyce Carol Oates pour son fameux De la boxe, longtemps épuisé en France, reparu en collection « Souple » aux éditions Tristram. Plus que d’une reparution, parlons d’un inédit puisqu’il s’agit de la première traduction intégrale, par Anne Wicke, de cet essai paru en 1987 puis 1995 aux États-Unis.

La boxe, « sport terrible », est à l’image d’un « combat pour la survie », disait Rocky Graziano, ancien champion du monde des poids moyens cité par Joyce Carol Oates en ouverture de De la boxe. L’écrivain explore un « mystère » qui la fascine depuis son adolescence, « expérience émotionnelle impossible à formuler, primitive comme la naissance, la mort, l’amour physique ». A travers ce sport, c’est une part de sa vie que révèle l’auteure, le rapport à son père qui lui fait découvrir les combats dans les années 50, un spectacle qui « a touché quelque chose de très profond en moi. Il y a là un mystère que j’essaie de percer ».

Aucun autre sujet n’est, pour l’écrivain, aussi intensément personnel que la boxe.
Écrire sur la boxe, c’est écrire sur soi-même — aussi elliptiquement et aussi involontairement que ce soit.

Les pages que Joyce Carol Oates consacre à la boxe tiennent d’une étude dramaturgique comme ontologique : « la boxe est notre théâtre tragique. L’individu réduit à lui-même ». Il ne s’agit pas d’un sport comme les autres mais de la vie, dans sa violence, ses combats, sa beauté, en somme « une infernale métaphore littéraire. La vie est comme la boxe, sous bien des aspects dérangeants ».
Nombreux sont les parallèles que tisse Oates entre la boxe et d’autres champs ou notions. Ce sport est pour elle, aussi, une « histoire de l’homme noir en Amérique » comme une étude des « limites de la civilisation », « ce qu’être « humain » veut dire, ou devrait vouloir dire ».

Dans cet essai, dont chaque chapitre trouve sa source dans la citation d’un champion de la discipline, Oates rappelle les bases (catégories de poids, coups). Elle dresse un historique de la discipline — des gladiateurs aux boxeurs actuels — mais aussi de sa représentation journalistique, romanesque, cinématographique. Elle analyse le circuit, le rapport du public au spectacle et dresse un parallèle constant entre la boxe et les arts (« plus proche de la musique et de la danse que du récit (…) dans un lieu qui se trouve au-delà des mots »), la boxe et la littérature : « chaque match de boxe est une histoire — un drame sans paroles, unique et très condensé (…) une histoire capricieuse, dans laquelle n’importe quoi peu arriver ».

La boxe est un concentré dramatique, propre donc à être mis en mots, ce que prouve magistralement ce texte.

Joyce Carol Oates, De la boxe, traduit de l’anglais (USA) par Anne Wickle, Tristram, « Souple », 2012, 256 p., 8 € 95