Un + Une : D’Inde au four…

© Un + Une, Claude Lelouch

J’aime bien Lelouch.

Je pourrais en faire un plaisir coupable, avec ce petit ton condescendant qui fait les grands critiques de cinéma, mais non : j’aime vraiment bien Claude Lelouch, et je ne me l’explique pas, parce que depuis vingt ans, il accumule les navets. Notez que je n’en attends jamais rien d’exceptionnel, mais invariablement il me déçoit et son dernier film  Un + une est même franchement insupportable.

Ça n’y changera rien, j’aimerai toujours bien Claude Lelouch. Déjà, parce que depuis des années, il agace profondément les adorateurs de la nouvelle vague qui ne lui pardonneront jamais de faire partie du mouvement. Ils peuvent prendre le problème dans tous les sens, Lelouch est le frère maudit des Godard, Truffaut, Rivette et autres vachettes sacrées de notre patrimoine de la rive gauche. Comme eux, il a débuté dans les années 50, en s’affranchissant de la lourdeur de production du cinéma de papa et des scénaristes. Comme eux il est le seul auteur de son œuvre, il prend sa « caméra stylo » et assène à chaque film la toute-puissance du réalisateur.

Comme eux, Lelouch a acquis et défendu sa liberté de création, loin des studios, dans la rue. Comme eux, il a assumé les influences américaines aussi bien que soviétiques. Godard créa l’insupportable collectif du nom du cinéaste russe « Dzyga Vertov », Lelouch se fit embaucher comme assistant sur Quand passent les cigognes de Mikhail Kalatozov. La seule différence, c’est que lorsque Godard fantasmait sur le communisme et jouait au révolutionnaire en Suisse, Lelouch partait à Moscou filmer clandestinement la Russie Soviétique. C’est d’ailleurs avec Truffaut et Godard qu’il milita pour l’arrêt du festival de Cannes en 68, sous le regard éberlué des cinéastes de l’Est, atterrés de voir que l’on pouvait censurer des films au nom de la liberté.

« Claude Lelouch, souvenez-vous de ce nom, vous n’en entendrez jamais plus parler », écrivait un journaliste des Cahiers du cinéma à ses débuts. Ce mépris envers Lelouch — qui s’apparente presque à un mépris de classe —, tout comme la passion de Lelouch pour le cinéma achèvent de le rendre sympathique, pour peu qu’il se taise. On rappellera que Truffaut félicita Lelouch pour Un homme et une femme, félicitations venant d’un ex des Cahiers, tête de gondole de la nouvelle vague, que rancunier, Lelouch repoussa d’un chabadabadesque « vous m’avez montré tout ce qu’il ne faut pas faire ». La rupture entre le mouvement et l’un de ses avatars consommée, les adorateurs de la secte se mirent alors à systématiquement dézinguer chaque film de Lelouch, sans s’apercevoir qu’ils détestaient parfois chez l’un ce qu’ils adoraient chez les autres. Notamment cette façon de traverser les époques en restant fidèle à ses principes d’auteur.

© Un + Une, Claude Lelouch
© Un + Une, Claude Lelouch

Ce qui pouvait fasciner chez Lelouch a fini par irriter : cette candeur, cette naïveté qui peut vite se nommer imbécillité. Visuellement, le cinéaste est talentueux : on pourrait le réduire à ses larges mouvements de caméra qui virevoltent autour du personnage et donnent parfois envie de rendre son déjeuner, mais c’est oublier qu’il est aussi très à l’aise dans les espaces clos. Les meilleurs Lelouch sont d’ailleurs ceux où il alterne les grandes envolées et les scènes intimistes. La discussion entre Anconina et Belmondo dans Itinéraire d’un enfant gâté, Denner et Villeret dans une salle d’attente dans Robert et Robert, Annie Girardot et Philippe Léotard en Thénardier dans Les Misérables: la sobriété lui va d’autant mieux qu’il est un épatant directeur d’acteurs, guidant ses comédiens mais leur laissant aussi un véritable espace pour créer leurs personnages.

Hélas, s’il est souvent difficile à défendre, Claude Lelouch rend la tâche particulièrement difficile à ses derniers avocats. Les qualités évoquées plus haut sont cruellement absentes de la plupart de ses derniers films et notamment du dernier Un + une qui confirme que de cinéaste dépassé (comme peut l’être Godard), il devient franchement pathétique, radotant ses obsessions (comme le fait Godard). Le pseudo mysticisme de Claude Lelouch était déjà encombrant (que l’on songe à ses théories sur la réincarnation déjà vues dans La Belle Histoire), partir réaliser son dernier film en Inde était donc suicidaire. Clichés européens sur la philosophie de vie des Hindous, lieux communs sur les relations amoureuses : Claude Lelouch compile tout ce qui rend son cinéma insupportable à ses détracteurs et de plus en plus indéfendable.

© Un + Une, Claude Lelouch
© Un + Une, Claude Lelouch

Un + une ressemble au voyage d’un adolescent en crise qui pense que mettre le pied en Inde suffira à lui donner sagesse et sérénité. Lelouch film l’Inde en touriste suréquipé : un coucher de soleil, un petit matin à la terrasse d’un hôtel de luxe, quelques séquences National Geographic sur les bords du Gange… Ni idée, ni point de vue, juste un interminable film de vacances. On songe alors à Alain Corneau tournant Nocturne Indien, ayant eu, lui, le courage de prendre son temps et d’adapter son style au monde qu’il découvrait.

Capture d’écran 2015-12-17 à 18.06.09Et Claude Lelouch ne fait jamais dans la demi-mesure. C’était souvent une qualité, cela devient embarrassant pour le spectateur. Avec la subtilité d’un éléphant du Bengale, il assène sa philosophie de pilier de comptoir new age. La pauvreté en Inde ? Juste une épreuve que doivent accepter avec stoïcisme ceux qui vivent ainsi leur première réincarnation. La misère endémique n’est donc pas si scandaleuse mais dans l’ordre des choses : une leçon de vie avant la prochaine réincarnation… Effarant de bêtise et tout à fait indigeste. Peut-être que voir Un + une est aussi une épreuve à accepter en prévision de nos vies futures de cinéphiles où nous aurons la présence d’esprit d’aller voir autre chose ?

Le cinéaste continue à tourner les pages de son guide du routard mystique et nous nous retrouvons dans les bras d’Amma, gourou dont le travail consiste à serrer dans ses bras ses fidèles. Rien d’une escort girl, juste le plaisir d’un gros câlin (sincérité, humanité dans un monde de brutes, tout ça…). Pourquoi pas après tout, mais Lelouch filme cela paresseusement puis passe à autre chose. Amma devient une attraction, rien de plus. Lelouch croit tourner un road movie, il nous embarque en fait dans un tour opérator où il nous inflige ses dernières illuminations. Les pensées ? Elles sortent de nos crânes pour se promener dans l’univers. L’homme ne se connaît pas, il vit à côté de lui-même etc., etc. Ce qui est déjà pénible venant d’un alcoolique au comptoir d’un café est tout à fait insupportable au cinéma sur 1 heures 55.

En même temps, une des premières répliques du film aurait dû alerter :

Qu’est-ce que tu préfères dans la vie ?
Aimer !

Si on n’est pas sorti en courant après ça, il ne faut pas se plaindre, me direz-vous. Lelouch cite Pascal, Lelouch cite Lelouch, on songe à Godard qui, pour donner du sens aux mots des autres, inscrit les sentences sur l’écran (en très gros, au cas où…). Ce doit-être une maladie de la nouvelle vague que de balancer des phrases en espérant que le spectateur vous trouvera intelligent (et ça vous évite d’utiliser l’image).

© Un + Une, Claude LelouchIl y a, la plupart du temps, toujours quelque chose à sauver des naufrages de Lelouch : Salaud on t’aime offrait le duo Hallyday/Mitchell, chantant devant Rio Bravo, c’était suffisant. Un + une n’offre rien. Jean Dujardin est très vite insupportable dans son rôle de Français arrogant, en roue libre il fait son show. C’est aussi sûrement la première fois qu’Elsa Zylberstein est mauvaise à l’écran, lancée dans une mission suicide consistant à créer un personnage romantique à partir d’une illuminée new age.

Rien donc… sauf peut-être Christophe Lambert. La voix hésitante, l’air d’être un peu ailleurs, touchant en ambassadeur fatigué et sensible. Il y a quelques chose d’émouvant et de surnaturel dans chacune de ses rares apparitions, il est la seule, mince, trace de singularité dans un film un peu honteux.

Alors oui, il y aurait toujours quelque chose dans un film de Lelouch, même très bien caché sous son mysticisme de fête foraine. En mettant en scène le timide retour de l’ex-star du cinéma français, le cinéaste semble tenter de se remettre en selle lui-même. Peine perdue, Lelouch n’écoute personne d’autre que lui. Une réflexion haineuse sur « le cinéma de festival » rappelle cruellement que lui, qui fut sacré à Cannes, est oublié des festivals, méprisé par la critique, ignoré des spectateurs. Seuls quelques-uns continueront à aller voir ses films comme on visite un ami malade… Il y a Christophe Lambert après tout…


Un + Une
, un film réalisé par Claude Lelouch – scénario de Claude Lelouch et Valérie Perrin – Directeur de la Photographie : Robert Alazraki – Avec Jean Dujardin, Elsa Zylberstein, Christophe Lambert, Alice Pol, Rahul Vohra, Venantino Venantini