Pierre Édouard, À ton âge déjà fatigué (1Song1Day)

« Les multiples transgressions des baby-boomers auront suscité entre 1960 et 1980, l’indignation, la peur, la répression, la réflexion. L’efflorescence des branchés n’engendra chez leurs contemporains qu’un indicible malaise, voire un profond mépris. 9782246689614-TContrairement à tous les mouvements de mode qui l’avaient précédée, la « new wave » (appellation imputable au regretté critique de Libération Maud Molyneux) ne se révoltait contre rien. (…)
Sinon l’ordre établi convenait parfaitement à ces parasites qui n’avaient d’autre ambition que d’en profiter. (..) Branchés dix ans sans rien faire, avec pour seul projet : le chic, le look et la défonce. »

Ces lignes extraites du roman autobiographique de François Baudot, L’Art d’être pauvre (2009), trouvent un écho musical dans une collection de chansons exhumées et réunies par Born Bad Records, la compilation « France Chébran » qui doit bien entendu son nom au verlan de « branché », immortalisé, comme le rappellent le livre et la pochette du disque, par une réponse de François Mitterrand à une question d’Yves Mourousi :

« Chébran, c’est dépassé
vous auriez du dire câblé… »

La French Boogie, courant aux confluents du Funk, du Hip Hop, du Disco et de la New Wave, illustre par ses paroles ce que François Baudot, acteur et témoin de l’avènement des branchés, décrit comme étant les seules préoccupations d’une faune parisienne du début des années 80 qui n ’a de cesse de courir entre le Palace, la Main Bleue et consorts en espérant y croiser Saint-Laurent ou Lagerfeld : fantaisistes, libertins assumés, tous entre auto-dérision et superficialité dansant jusqu’au bout de la nuit. « La journée d’un branché commençait rarement avant quatre heures de l’après-midi », écrit-il.

C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il décide de mettre fin à son récit et de fêter son anniversaire. Il a alors 30 ans, faisant une ellipse sur la suite de sa vie, en à peine une dizaine de pages, dans un chapitre nommé 1978-2004 (il meurt tragiquement en 2010) comme si le Paris qu’il décrit tout au long du roman, des années 60 aux années 80, était devenu terne à ses yeux depuis. La fin de la fête ?

« Plus qu’un homme (Fabrice Emaer — patron du Palace et ami de François Baudot — décédé l’année de la fermeture de l’établissement, en 1983), c’est une époque qu’on enterrait. Les années SIDA commençaient. Plus rien ne serait comme avant. »

Avant de clore son livre, le romancier dresse de courts portraits de créatures de la nuit qu’il a pu croiser lors de ses sorties en évoquant leurs trajectoires plus ou moins heureuses : l’une morte d’overdose, l’autre précipitée par intérêt financier dans un mariage de complaisance et quelques rescapés auxquels il voue malgré tout une certaine admiration (Pierre et Gilles, par exemple).

Je ne peux m’empêcher de penser que dans cette liste sont peut être évoqués entre les lignes les artistes dilettantes de cette bande son, véritable cour des miracles musicale, de morceaux aux rythmes empruntés à Chic, tous oubliés et déterrés ici. Parmi les curiosités, Casino chante les louanges du « Pâté Impérial », Trigo & Friends soigne « La Dégaine » ou encore Hugues Hamilton se lamente de ne plus avoir d’alcool pour se saouler sur « Je m’laisse aller »…

chacun_fait_c_qui_lui_plait

Chagrin d’Amour et son Chacun fait (c’qui lui plaît) est le rare vestige, que dis je, chef d’œuvre, issu de ce style musical encore diffusé de nos jours. Ce titre que les médias identifient comme étant le premier titre de rap en français était en fait précédé la même année, 1981, par Pierre Édouard, « A Ton Age Déjà Fatigué ».

« A Ton Age Déjà Fatigué » écrit en partie par Jay Alanski à qui l’on doit le Banana Split de Lio ou le Tout s’qui nous sépare de Jil Caplan, qu’on retrouve parmi les 18 chansons de cette compilation aux mœurs libérées et à l’insouciance de cette époque pré-rigueur, ouvrant sur un nouveau volet plus mélancolique de la pop hexagonale incarné entre autres par Étienne Daho.

Pierre Édouard, À ton âge déjà fatigué : Extrait de la compilation France Chébran, Born Bad Records, 2015
François Baudot, L’Art d’être Pauvre, Grasset, 2009, 416 p., 19 € 80

pierreedouard