James Bond : « sors l’assassin entre le Spectre »*

Spectre, Sam Mendes © Sony Pictures Releasing GmbH

J’ai bien aimé le dernier James Bond. Je pourrais m’arrêter là, je vous ferais gagner du temps avec la plus courte critique de Spectre (et même lancer une nouvelle école de critique), mais, d’une part, j’ai un peu de temps devant moi avant la prochaine séance, et d’autre part, si je l’affirme aussi directement, comme on affirme qu’on est alcoolique chez les A.A., c’est parce que j’ai l’impression ces derniers jours d’être le seul à avoir bien aimé le dernier James Bond.

Les spectateurs sont déçus, une bonne partie de la critique boude, les fans de Bond boudent et même si le film bat des records d’entrées, la fête est gâchée. En cause, une surenchère visuelle que ne justifie pas un scénario un peu trop classique avec un méchant très méchant, une James Bond girl dont le rôle se réduirait à être une jolie potiche, des scènes d’actions jugées peu réalistes… Parce que les autres James Bond, c’étaient les frères Dardenne ?

Oui, dans James Bond les scènes d’actions sont pour la plupart totalement irréalistes, parce que sinon la saga n’aurait pas dépassé les 15 premières minutes du premier épisode. Un scoop : IL FAUT QUE LE MEC S’EN SORTE !!! Mais comme on ne peut pas le laisser dans une chambre à bouquiner, il faut parfois jouer un peu avec la réalité. D’accord, on peut trouver la conclusion de Spectre assez paresseuse, mais on n’oubliera pas le superbe plan séquence qui ouvre le film.

Maintenant que le numérique a rendu les plans séquences à la portée du premier Nakache/Toledano venu, on ne boudera pas le plaisir d’un premier plan épatant au cœur de la foule du carnaval de Mexico pour finir sur Bond, seul sur un toit s’apprêtant à ouvrir le film par un déluge d’actions et d’explosions. Durant ce mouvement hypnotique, on découvrira Daniel Craig (le meilleur Bond de l’histoire) se déplaçant sur les toits, alors qu’en contrebas, une gigantesque marionnette mortuaire annonce ce qui fera la particularité de Spectre : la présence de la mort, non plus désincarnée et abstraite, mais comme une ombre avec laquelle il faut vivre.

« This is the end » chantait Adele au début de Skyfall, annonçant le ton assez sombre du film de Sam Mendes. Nous découvrions le passé de Bond, orphelin recruté par les services secrets et qui perdait en M une mère de substitution. Spectre étant conçu comme la suite directe de Skyfall le cinéaste britannique a la bonne idée de poursuivre la marche funèbre. Entre deux scènes musclées toujours aussi bien menées (mais toujours trop longues), Sam Mendes tente de nous faire découvrir ce James qui se cache derrière le mythe Bond, bien aidé en cela par un Daniel Craig sobre et mystérieux quand il ne distribue pas des tartes.

Qu’est-ce qui sépare un héros d’un assassin ? Spectre est le premier film de la série à véritablement s’arrêter sur ce fameux 00 ou permis de tuer. Comment vivre avec les fantômes des morts, ennemis ou aimés ? Plus qu’un clin d’œil, le rappel des victimes directes ou indirectes de l’agent secret permet au personnage de trouver une véritable épaisseur et au spectateur de ne pas se contenter d’attendre la prochaine démonstration pyrotechnique.

Évidemment, la réflexion sur l’acte de tuer ne va pas chercher bien loin, Spectre n’est pas Crime et Châtiment (mais les poursuites en voiture sont plus réussies). Le film respecte donc le cahier des charges bondiens : la poursuite en bagnole, le tour du monde (entre autres Rome et Londres – au prix où sont les hôtels dans ces deux villes, on ne va pas cracher sur une petite visite). Si les morceaux de bravoures sont inégaux (Mendes n’est pas Spielberg), il maitrise mieux les face-à-face que la surenchère d’explosions qui semble un passage obligé. Là aussi, pour ne parler que des plus récents, rien de raté comme la fameuse scène d’avion de Quantum of Solace et surtout, rien d’aussi ridicule que l’improbable scène de bagarre qui clôturait ce film entre Daniel Craig (James Bond, crédible en agent secret surentrainé rompu à toutes formes de combats) et le méchant interprété par… Mathieu Amalric (plus à son aise il faut bien le dire en prof de philo torturé rompu aux discussions stériles dans les appartements haussmanniens). Si Christoph Waltz rappelle trop le Dr Evil d’Austin Powers pour être véritablement effrayant, on retrouve enfin l’un des éléments les plus populaires de la légende crée par Ian Fleming : SPECTRE, l’horrible internationale du mal, la source de tous les maux.

Pourtant, et c’est peut-être ce qui perturbe certains, l’enjeu de la confrontation avec Bond est déroutant : il ne s’agit plus tant de sauver l’humanité que celle de James… Au point que Mendes rende totalement artificielle certains pans de l’histoire, la réflexion sur la surveillance et l’espionnage dans le monde, l’histoire d’amour avec la James Bond girl trop rapidement expédiée pour avoir le moindre intérêt. La faiblesse de ce Spectre résiderait presque dans son ambition, inégale, le film semblant se désintéresser de l’action ou même du suspens. Aidé par une équipe technique d’habitués de la franchise, Sam Mendes ne s’en sort pas si mal, notamment grâce à un des meilleurs directeur photo actuel, Hoyte Van Hoytemma (La Taupe, Interstellar) qui sauve les séquences sensément les plus spectaculaires. Ce qui intéresse véritablement le réalisateur, c’est ce personnage dont on comprend qu’il n’a jamais tué pour sauver le monde libre ou pour sa Majesté la Reine, mais pour faire plaisir à Mère…

Sauf si l’on croit encore que le héros puisse mourir pendant le film, difficile de ne pas apprécier les efforts de Sam Mendes et Daniel Craig pour qu’entre deux zigouillages naisse un véritable personnage qui doit vivre avec ses fantômes de plus en plus nombreux. James Bond will return, c’est sûr. Mais qui sera son prochain ennemi ? Le diabolique docteur Freud ?

© Sony Pictures
© Sony Pictures / MGM

SPECTRE, Réalisé par Sam Mendes – Scénario : John Logan, Neal Purvis, Robert Wade – Directeur de la photographie : Hoyte van Hoytema – Avec : Daniel Craig, Lea Seydoux, Christoph Waltz, Ralph Fiennes, Naomie Harris, Ben Wishaw

* Le titre de cet article emprunté au livre de Pierre Senges, Sort l’assassin, entre le spectre, paru aux éditions Verticales en 2006, Pierre Senges par ailleurs tout récent Prix Wepler pour Achab (Séquelles) également aux éditions Verticales.