« UGO RONDINONE : I ♥ JOHN GIORNO » (Thanx 4 nothing)

D'après la conception graphique originale de Scott King, I ♥ JOHN GIORNO, 2015. Courtesy de l'artiste.

Dès la 1ère salle ça vous prend
aux tripes
Ça vous prend aux tripes
C’est trash
et j’aime ça
Ça vous prend aux tripes et j’aime ça.
Ça vit, ça bouge
Ça bat
Ça pulse
D’Erik Satie à
Bowie
Beat
Beat generation
Dans le souterrain de velours
Les pétales de cerisiers
Sont des lames de rasoirs
Les jacinthes
Les chants des suicides
Avec Warhol je veux te regarder
Dormir
Dormir avec Andy
Sleep
Dormir avec Pierre
Sleep
Talking
Sleeptalking
Écouter
Un téléphone
A poèmes
Dial
Entendre Allan
William
John
Dial a poem
Appuyez sur 1
En français
En anglais
Appuyez sur 2
Dans les rues
De Brooklyn
Il y avait un mauvais
arbre
un mauvais arbre
There was a bad
tree
a bad tree
Et de ses mains de ses pieds
De son corps
irradiaient
Des rayons célestes
Des Clochards Célestes
D’une Amérique
Une justice poétique
Merci
Merci
pour avoir présenté
A mes yeux cet
Esprit
mis à nu
Thanks
Thanks
for
everything
Thanx 4 everything.

Le Palais de Tokyo présente jusqu’au 10 janvier 2016 la première rétrospective mondiale de la vie et de l’œuvre du poète américain né en 1936, figure du Velvet Underground, John Giorno. Conçue par l’artiste suisse Ugo Rondinone, l’exposition «  I love John Giorno » s’offre comme un appartement dans lequel chacune des 8 pièces cherche à refléter la quête d’une spiritualité commune aux deux artistes, 8 chapitres représentant chacun une facette de l’œuvre foisonnante de Giorno.

Dès l’entrée (salle 1), filmé en 4 scènes et 2 costumes, tel un clown blanc ou le Monsieur Loyal d’une commedia dell’arte mettant en scène le récit de nos vies dévastées, John Giorno « remercie pour rien pour son 70è anniversaire », « Thanx 4 nothing ». L’écoute sans cesse répétée du texte, la voix lancinante de Giorno parfaitement accordée aux rythmes des changements de costumes (noir ou blanc et noir et blanc) en font un moment de fascination absolue.

Puis, fouillant dans les entrailles des 15147 documents constituant les archives phénoménales de Giorno, Ugo Rondinone construit une installation monumentale et nous immerge (salle 2) dans un caléidoscope de ses souvenirs d’enfance, coupures de presse, poèmes, performances visuelles… Une plongée en apnée entre Ginsberg, Brooklyn, Burroughs, Paris, Dieu, les fleurs, le sexe, la vie… On voudrait tout voir, tout lire, s’en imprégner, partager chacun de ses moments… Et on en sort étourdi pour s’immiscer (salle 3) dans le sommeil de Giorno confié au regard d’Andy Warhol, qui, dès leur rencontre en octobre 62 avait déclaré à son amant « Je veux faire un film de toi en train de dormir ». Le long métrage de Warhol, « Sleep » , nous met en position de voyeur ou de gardien du cœur de l’intime, de l’abandon.

De l’abandon aussi du mythe américain malmené par une politique à la dérive, une surconsommation, une saturation de junk food, d’alcool, d’héroïne, de morts, du sida, de guerres. Les poèmes sonores de Giorno, ses images se radicalisent. La répétition sans fin des mots, des phrases se veut curatrice, antidote au poison d’une Amérique malade qui se distille lentement dans les esprits mis à nu. Avec l’expérience sonore « Giono Poetry Systems », menée par Giono, Ginsberg, John Cage et d’autres artistes comme Philip Glass, Tom Waits ou Debbie Harry, l’œuvre « dial-a-poem » nous murmure la fureur des textes de scènes de sexe ou de combats. Salle 4, l’art est une tuerie. On peut tenter l’expérience personnelle à travers les écouteurs de nos portables (dial 0800 106 106 jusqu’au 10 janvier 2016, choose 1 en français, 2 in english).

Enfin, trouver un apaisement, peut-être dans une parenthèse bouddhiste où, comme Jack Kerouac et ses Clochards Célestes, Giorno est à l’écoute des Maîtres. Influencé par le Livre des Morts tibétain, ses poèmes se font reflet, miroir pour créer ce vide propice à la méditation où toute idée de Dieu se fait humaine « God is man made ». Les représentations de Bouddha veillent (salle 5).

Plus de 30 ans après Warhol, Pierre Huyghe pénètrera de nouveau le sommeil de Giorno, dans un film de 1998 « Sleeptalking » (salle 6). Les textes, issus du « dial-a-poem » se feront encore plus radicaux, plus politiques.

Le travail immense de Giorno inspire de nombreux artistes qui chercheront à travers des photos (Françoise Janicot, Robert Mapplethorpe) , des peintures (Verne Dawson), des performances visuelles ou sonores (Rirkrit Tiravanija) moins à lui rendre hommage qu’à participer à l’œuvre et que l’on peut, en quittant à regret ce dédale spirituel, découvrir à travers leur propre « G.P.S. » (salles 7 et 8)

Exposition « I love John Giorno » au Palais de Tokyo du 21 octobre 2015 au 10 janvier 2016
Dial-a-poem, du 19 octobre 2015 au 10 janvier 2016,

numéro gratuit 0800 106 106
Catalogue de l’exposition : « Palais 22, le magazine du Palais de Tokyo », I love John Giorno, 216 p., 15 €
&
John Giorno, Il faut brûler pour briller, traduction de Julie Étienne et Jean-René Étienne, préface de William S. Burroughs, Éditions Al Dante, Léo Scheer, 183 p., 21 €