Arte : Roland Barthes, le théâtre du langage

Le mercredi 23 septembre, en seconde partie de soirée, Arte diffuse un passionnant documentaire, « Roland Barthes, le théâtre du langage« . 55 minutes d’archives pour (re)composer un (auto)portrait de celui dont on fêtera, le 12 novembre prochain, le centenaire de la naissance.

9782020381796Le film s’ouvre sur un credo : « je crois profondément« , déclare Barthes dont le spectateur retrouve le grain de la voix. On est en plein dans l’exercice de l’interview d’auteur, jeu codé et exercice de style s’il en est, dont Barthes disait qu’elle « fait partie, pour le dire de façon désinvolte, d’un jeu social auquel on ne peut pas se dérober ou, pour le dire de façon plus sérieuse, d’une solidarité de travail intellectuel entre les écrivains, d’une part, et les médias, d’autre part. Il y a des engrenages qu’il faut accepter : à partir du moment où l’on écrit, c’est finalement pour être publié et, à partir du moment où l’on publie, il faut accepter ce que la société demande aux livres et ce qu’elle en fait« .

Capture d'écran Arte
Capture d’écran Arte

La voix de Barthes — celle dont Thiphaine Samoyault écrit qu’elle est son « sa marque, son monogramme » dont Chantal Thomas ajoute, dans son Pour Barthes qu’elle a « la qualité d’être empreinte d’une nostalgie du silence », qu’elle est lente et double, « une envie et un regret », dans un même mouvement. Cette voix est immédiatement en avant comme au centre du film, elle occupe l’espace sur les premières images du film, des photographies en noir et blanc qui laissent toute latitude au déploiement de ce grain unique, de cette déclaration d’une volonté d’être « aimé » dans et par l’écriture.

« L’écriture est une jouissance » (Roland Barthes)

Capture d'écran Arte
Capture d’écran Arte

Puis Chantal Thomas raconte Barthes, questionne sa présence, dit combien, interrogeant le langage, Barthes interrogea ce qui nous constitue intimement et socialement. Enfin, les deux voix entrent en dialogue pour dire ce « centre mouvant » qu’est Barthes, se définissant par un tissu de négations (ni tout à fait écrivain, philosophe ou penseur), « je vais de la pensée à la phrase et réciproquement« . Il est, de son aveu même lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, un « sujet incertain« .

« Si je n’avais pas eu la manie de la signification… » (Barthes)

Le documentaire revient sur les Mythologies, titre qui fit connaître son nom ; sur le rapport de Barthes à l’écriture (les rituels, les fiches), le contexte de la publication de ses textes, l’évolution de son travail sur les signes, les iconographies, « un imaginaire collectif de la modernité« , son « obsession » (pour le langage) allant de pair avec une « infidélité » fondamentale — changer, varier — axe double, en mouvement constant, en procès, d’un ethos. Le film parcourt Racine, la mode, le Japon et l’empire des signes, la nourriture (et le concombre…), le catch, l’écriture par fragments, le neutre, Bayonne, les séminaires, le deuil…

Capture d'écran Arte
Capture d’écran Arte
Capture d'écran Arte
Capture d’écran Arte

Regarder ce documentaire, c’est aussi arpenter Paris dans les lieux qui furent ceux de Barthes, partager ses routines et rituels (à 11 heures, le « café de l’intellectuel » et un cigare ; la chambre identique à Paris et à la campagne). Nous (re)découvrons un homme derrière ses livres, sa mère, entrons dans sa « chambre » avec ses « coins » (pour écrire, jouer du piano, peindre, dormir), distincte et au-dessus de l’appartement, lui réservé à la « vie matérielle ».

« Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman » (Barthes par Barthes)

Capture d'écran Arte
Capture d’écran Arte

Regarder ce documentaire, c’est comprendre l’importance cardinale pour Barthes du mot « responsabilité« , qui revient régulièrement et explique ses engagements, ses lectures, son chemin de vie. C’est entrer dans la pensée de Barthes par un angle qui éclaire et donne à comprendre sa position paradoxale dans le monde des lettres des années 50 à sa mort en mars 1980, à la fois maître à penser et en marge, solitaire et acteur d’un groupe qui bouleversa nos représentations (Lacan, Levi-Strauss, Foucault, Derrida, « Tel Quel », etc.). Toujours aller « plus avant », « ailleurs« , comme le déclare Barthes de son propre chemin. Entrer dans une Vita nova. C’est l’invitation que lance ce documentaire, contre-point ou prolongement allographiques du Barthes par Barthes, à ne surtout pas manquer.

« La mort est le seul événement.
Tout le reste est discours, au fond. » (Barthes par Barthes)

Arte, 23 septembre 2015, « Roland Barthes, le théâtre du langage »

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Documentaire de Chantal Thomas et Thierry Thomas – Réalisation : Thierry Thomas (France, 2015, 55 mn) – Coproduction : ARTE France, Les Films d’Ici 2, INA
Lire la critique de ce même documentaire par Johan Faerber
Chantal Thomas, Pour Roland Barthes, Seuil, « Fiction et Cie », mai 2015 — Lire un extrait