Droits d’auteur bientôt bafoués : dans l’attente d’une nécessaire clarification de François Fillon

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Pour tout dire, dans l’hémicycle européen, personne ne s’y attendait. Le rapporteur de la commission culture du Parlement qui a adopté une proposition de directive réformant le droit d’auteur a rédigé des amendements qui vont à contre courant de la position française exprimée depuis des années aussi bien par la majorité que par l’opposition. Marc Joulaud veut étendre le champ d’exclusions du droit d’auteur afin de le soustraire à toute régulation.

Le député européen, ancien suppléant de François Fillon, celui-là même qui avait engagé son épouse, ne s’est pas donc contenté de cet épisode malheureux pour apparaître sur la scène publique. Il a déposé des amendements dont l’éventuelle adoption sème la consternation dans les sociétés françaises de droits d’auteur et, par voie d’extension, chez tous les créateurs.

L’amendement 56 est celui qui a mis le feu aux poudres. Il stipule que « Les États membres prévoient une exception […] pour permettre l’utilisation numérique de citations ou d’extraits d’œuvres et d’autres objets protégés figurant dans des contenus générés par les utilisateurs à des fins de critique, de commentaire, de divertissement, d’illustration, de caricature, de parodie ou de pastiche à condition que ces citations ou extraits :

  1. a) concernent des œuvres ou autres objets protégés ayant déjà été licitement mis à la disposition du public ;
  2. b) s’accompagnent d’une indication de la source, notamment le nom de l’auteur, sauf si cela s’avère impossible. »

Dépouillé de son habillage juridique, cette disposition autorise tous les internautes à reproduire, diffuser, enrichir, modifier ou détériorer des œuvres actuellement protégées. La mention de la source, quand cela est possible, est la seule obligation prévue.

L’absence de toute définition de l’œuvre laisse penser que toutes rentrent dans le champ d’exclusion de cet amendement. Ainsi, au moment où la presse et les médias en ligne ont obtenu la création d’un fonds Google destinée à compenser la spoliation dont leurs contenus font régulièrement l’objet, cette exclusion ruine toute tentative d’obtenir de la part des GAFA la rémunération des œuvres et la protection du droit moral. Il brise le nécessaire rapport de forces que doive engager les auteurs comme les créateurs avec les fournisseurs d’accès.

Que dire de tous ceux qui rédigent des textes, mettent en ligne des vidéos dont la valeur est proportionnelle à l’intérêt qu’ils suscitent. Ils auront fait cadeau à Google ou à Facebook de leurs œuvres si ce projet qui légitime cette spoliation est adoptée.

L’amendement 55 est aussi très explicite puisqu’il entend « permettre à toute institution de gestion du patrimoine culturel, à des fins non commerciales, de numériser, de distribuer, de communiquer au public ou de mettre à disposition des œuvres ou d’autres objets protégés qui n’ont jamais été disponibles dans le commerce et qui se trouvent en permanence dans les collections de l’institution ».

Le flou concernant le mot même d’institution sous-entend qu’il puisse s’agir d’une bibliothèque, d’un média, d’un site.

Un cinéaste qui connaîtra la célébrité n’aura plus aucun droit sur les vidéos, les scenarrii qu’il aura réalisé dans sa jeunesse. Moins lourde de conséquences, que les autres initiatives prises par Marc Joulaud, cette proposition est révélatrice du peu de considération que le rapporteur de la commission culturelle accorde aux créateurs.

L’amendement 55 qui exclut de toute régulation « la reproduction numérique et l’utilisation à des fins non commerciales d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics » est effarante. Constatant que des centaines de millions de touristes photographient la Tour Eiffel, le Colisée, les Pyramides pour leur usage privé Marc Joulaud souhaite étendre cette autorisation tacite à toutes les œuvres exposées dans les lieux publics. Ce qui inclut aussi bien l’espace urbain que les musées ou les restaurants. On est très loin de la notion actuelle de « panorama » qui autorise quiconque à reproduire, pour son usage personnel, un paysage ou un monument historique.

Comme le dit un représentant de la SACD, présent aux négociations, « Nous savions que la commission culture avaient longuement entendu les représentants de Google et de YouTube mais de là à satisfaire l’intégralité de leurs exigences, il y a un monde que nous ne pouvions imaginer ».

« Nous n’avons d’ailleurs pas en mémoire d’autres exemples de rapports rédigés par un député français au sein d’une Commission Culture dont l’ambition est souvent de soutenir les créateurs et qui se seraient livrés à une telle remise en cause du droit d’auteur » a écrit le 27 février dernier Pascal Rogard, délégué général de la SACD à François Fillon. Ces prises de position relèvent de l’irresponsabilité.

Les réseaux sociaux ont bâti leur insolente prospérité sur le travail gratuit des milliards d’abonnés qui leur permettent d’incorporer des publicités. Sans les vidéos, les photos, les textes personnels et ceux d’auteur renommés, ces réseaux perdraient une grande partie de leur attractivité commerciale sinon leur raison d’exister.

En privant les auteurs comme les utilisateurs du net de tout droit à leur travail créatif, le représentant des Républicains porte un coup qui pourrait s’avérer fatal à la Culture car la Toile est devenue son principal lieu d’expression.

François Fillon va devoir, comme tous les candidats à l’élection présidentielle, quand il détaillera sa vision culturelle clarifier la position, prise en son nom, par l’un des siens sur la scène européenne. A défaut, cela signifiera qu’il valide ses positions.

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Lire ici la lettre à François Fillon